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roi et celui de Mme de Maintenon. Comme il n’y avoit point de conseil, chacun courut du grand salon. On le vit entrer chez le roi avec la cassette des sceaux, et on ne douta plus alors de la retraite. Ce fut une louange et une consternation générale. Je savois la chose par lui-même. Je le vis entrer et sortir avec le cœur bien serré, lui avec l’air de l’avoir bien au large. Le roi le combla d’amitiés et de marques d’estime, de confiance et de regrets ; et sans qu’il lui demandât rien, lui donna une pension de trente-six mille livres, et la conservation du rang et des honneurs de chancelier. En finissant l’audience, il demanda au roi d’avoir soin de ses deux secrétaires, qui en effet étoient de très honnêtes gens, et sur-le-champ le roi donna à chacun une pension de deux mille livres.

Pendant qu’il étoit chez le roi, la nouvelle courut, et fit amasser tout ce qui se trouva d’hommes dans Marly qui firent presque foule sur son passage. Il sortit de chez le roi comme il y étoit entré, sans qu’il parût en rien différent de son ordinaire ; saluant à droite et à gauche, mais sans parler à personne, ni personne à lui. Il se mit dans sa chaise où il l’avoit laissée, gagna son pavillon, où il monta tout de suite dans son carrosse qui l’attendoit, et s’en alla à Paris. Il y fut plus d’un mois dans sa maison en butte à ce qu’il ne put refuser les premiers jours, puis se resserra tant qu’il put. La maison que la mort du Charmel avoit laissée tout à fait vacante, et qu’il faisoit accommoder pour lui, n’étoit pas encore prête. Dès qu’il y put habiter, il s’y retira. J’aurai lieu ailleurs de parler de sa solitude, et de la vie qu’il y mena également sainte et contente.

Outre l’âge, la douleur, et la liberté que lui donnoit la perte de la chancelière pour cette résolution de tous les temps de mettre un intervalle entre la vie et la mort, il se sentit hâté de l’exécuter par les événements qu’il prévoyoit devenir de jour en jour plus difficiles à soutenir dans sa place. Il voyoit les desseins du P. Tellier, les progrès de