Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/94

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Hélas ! elle le croyoit, la charmante princesse, et qui ne l’eût cru avec elle ? Il plut à Dieu pour nos malheurs d’en disposer autrement bientôt après. Elle étoit si éloignée de le penser que le jour de la Chandeleur, étant presque seule avec Mme de Saint-Simon dans sa chambre presque toutes les dames étant allées devant à la chapelle, et Mme de Saint-Simon demeurée pour l’y suivre au sermon, parce que la duchesse du Lude avoit la goutte, et que la comtesse de Mailly n’y étoit pas, auxquelles elle suppléoit toujours, la Dauphine se mit à parler de la quantité de personnes de la cour qu’elle avoit connues et qui étoient mortes, puis de ce qu’elle feroit quand elle seroit vieille, de la vie qu’elle mèneroit, qu’il n’y auroit plus guère que Mme de Saint-Simon et Mme de Lauzun de son jeune temps, qu’elles s’entretiendroient ensemble de ce qu’elles auroient vu et fait, et elle poussa ainsi la conversation jusqu’à ce qu’elle allât au sermon.

Elle aimoit véritablement M. le duc de Berry, et elle avoit aimé Mme la duchesse de Berry, et compté d’en faire comme de sa fille. Elle avoit de grands égards pour Madame, et avoit tendrement aimé Monsieur, qui l’aimoit de même, et lui avoit sans cesse procuré tous les amusements et tous les plaisirs qu’il avoit pu, et tout cela retomba sur M. le duc d’Orléans, en qui elle prenoit un véritable intérêt, indépendamment de la liaison qui se forma depuis entre elle et Mme la duchesse d’Orléans ; ils savoient et s’aidoient de mille choses par elle sur le roi et Mme de Maintenon. Elle avoit conservé un grand attachement pour M. et Mme de Savoie, qui étinceloit, et pour son pays même, quelquefois malgré elle. Sa force et sa prudence parurent singulièrement dans tout ce qui se passa lors et depuis la rupture. Le roi avoit l’égard d’éviter devant elle tout discours qui pût regarder la Savoie, elle tout l’art d’un silence éloquent, qui par des traits rarement échappés faisoient sentir qu’elle étoit toute française, quoiqu’elle laissât sentir en même temps