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arrivé chez lui ; de raser tous les forts et de brûler tous les vaisseaux qu’il avoit sur la mer Noire, de laisser retourner le roi de Suède par la Poméranie, et de payer aux Turcs et à ce prince tous les frais de la guerre.

Le grand vizir trouva une telle opposition au divan à passer ce traité, et une telle hardiesse dans le ministre du roi de Suède, qui l’accompagnoit, à exciter contre lui tous les principaux de son armée, que peu s’en fallut qu’il ne fût rompu, et que le czar avec tout ce qui lui restoit ne subît le sort d’être fait prisonnier : il n’étoit pas en état de la moindre résistance. Le grand vizir n’avoit qu’à le vouloir pour l’exécuter sur-le-champ. Outre la gloire de mener à Constantinople le czar, sa cour et ses troupes, on peut juger de ce qu’il en eût coûté à ce prince ; mais ses riches dépouilles auroient été pour le Grand Seigneur, et le grand vizir les aima mieux pour soi. Il paya donc d’autorité et de menaces, et se hâta de faire partir le czar et de s’éloigner en même temps. Le ministre de Suède, chargé des protestations des principaux chefs des Turcs, courut à Constantinople, où le grand vizir fut étranglé en arrivant. Le czar n’oublia jamais ce service de sa femme, dont le courage et la présence d’esprit l’avoit sauvé. L’estime qu’il en conçut, jointe à l’amitié, l’engagea à la faire couronner czarine, à lui faire part de toutes ses affaires et de tous ses desseins. Échappé au danger, il fut longtemps sans rendre Azof, et à démolir ses forts de la mer Noire. Pour ses vaisseaux, il les conserva presque tous, et ne voulut pas laisser retourner le roi de Suède en Allemagne, ce qui pensa rallumer la guerre avec le Turc.

Chalois prit congé à Fontainebleau pour s’en aller en Espagne, prendre un bâton d’exempt des gardes du corps, dans la compagnie wallone, dont M. de Bournonville étoit capitaine. Mme des Ursins avoit toujours conservé un grand attachement pour son premier mari, pour son nom, pour ses proches. Celui-ci étoit fils unique de son frère aîné qui