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d’État, et le premier commissaire à l’assistance aux sceaux tenus par le roi ; ainsi ils se réservèrent la vacance et l’espérance de la remplir par le mépris du concurrent, qui, leur devant tout et les sceaux mêmes, ne pourroit et n’oseroit s’en fâcher, ou s’ils n’y pouvoient atteindre, tourner court sur le garde des sceaux tout fait, lui procurer aisément par ce chausse-pied la place vacante, et avoir ainsi un chancelier de paille, qui, par ce qu’il leur étoit et devoit, et par son imbécillité, ne les pourroit jamais embarrasser. Ils le tinrent ainsi au filet vingt mois durant. À la fin l’indécence d’une si longue vacance et la difficulté qu’ils trouvèrent dans le roi pour Le Tellier, les fit tourner court à ce dernier parti, et Aligre fut fait chancelier en janvier 1674. Il le fut et toujours en place jusqu’au 25 octobre 1677 qu’il mourut à Versailles, à plus de quatre-vingt-cinq ans. Le Tellier eut alors sa revanche et lui succéda quatre jours après. Il jouit huit ans de cette grande place, en faveur et en pleine santé de corps et d’esprit, et mourut au milieu de sa brillante famille en sa petite maison de Chaville près Versailles, le 30 octobre 1685, à quatre-vingt-trois ans.

Ce second chancelier Aligre, qui peu à peu lui et ses enfants ont cru s’ennoblir en changeant l’H en D et s’appelant d’Aligre [1], avoit un deuxième fils qui fit profession de bonne heure parmi les chanoines réguliers, et qui eut en 1643 l’abbaye de Saint-Jacques, près de Provins. C’étoit un homme d’esprit et de savoir, plus éminent encore en vertu, et qui se confina dans son abbaye. On ne fut pas longtemps à s’apercevoir de l’étrange incapacité de son père dans la place de chancelier, à qui ses secrétaires faisoient faire tout ce qu’ils vouloient, et tant de choses pour de l’argent que la famille en fut alarmée et vit la nécessité d’un tuteur. Un étranger étoit à craindre ; le fils aîné, plus imbécile que le père, ne put aller plus loin qu’être maître des requêtes et

  1. Saint-Simon écrit tantôt Haligre, tantôt Aligre ; nous avons suivi l’orthographe qui est généralement adoptée.