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foi, auparavant si aveuglée pour lui ; mais je crus sage de ne pas presser une telle apostume. Je regardai ce trait d’ambition comme une verdeur de jeunesse gâtée par tout ce qui peut flatter le plus à tout âge, et ce coup de fouet comme une leçon qui le mûriroit et l’instruiroit avec tout l’esprit qu’il avoit.

Ces plaintes qu’il me fit se prolongèrent quelques jours avant d’en venir au point que je sentis après qui l’avoit pressé de me les faire, et ce fut lorsqu’il y vint où l’ambage de ses discours me fit entrevoir ce qu’il se proposoit par le duc de Beauvilliers. Il s’étendit sur son mérite, sur l’impression que sa vertu avoit toujours faite sur lui ; il savoit trop à qui il parloit pour ne pas dire merveille sur ce chapitre, qu’il conclut par ses désirs de pouvoir se rapprocher de lui, et tout ce qui se suit de là. Il me sonda délicatement comme pour ne me rien proposer d’embarrassant ; et, comme il aime à parler et à s’étendre, je le laissai volontiers se satisfaire, rêvant cependant à ce que moi-même je ferois. Ce qui me détermina fut la persuasion que l’unique neveu de Mme de Maintenon, qui avoit jusqu’alors marqué pour lui un goût si abandonné, rentreroit à la fin dans ses bonnes grâces, et par elles dans celles du roi et de la Dauphine encore, légère comme elle étoit, et incapable d’une forte amitié et plus encore d’une longue haine, investie des Noailles au point et par les endroits où elle l’étoit ; pour l’avenir, qu’un homme d’autant d’esprit, de talents, d’emplois, frère de ces mêmes dames du palais, et premier capitaine des gardes, approcheroit toujours le Dauphin devenu roi de fort près ; qu’il n’étoit pas possible qu’il ne lui plût à la longue ; et que pour le présent et le futur, il valoit mieux l’avoir à soi, qu’à compter un jour avec lui après avoir refusé et méprisé ses avances. Ce raisonnement qui me saisit m’emporta tellement, que je me rendis facile à travailler à une réunion. Lorsqu’il m’en pria et qu’il m’en pressa tout de suite, je ne laissai pas de le vouloir sonder à mon tour.