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et une troisième au gouverneur de la Bastille pour les y recevoir, parce qu’il n’y peut recevoir personne sans lettre de cachet du roi. Au bout d’un mois de cette querelle, le roi nomma les maréchaux de Villeroy, d’Huxelles et de Tessé pour, en qualité non de maréchaux de France mais de commissaires choisis par lui, terminer l’affaire de ces messieurs. Ces trois commissaires s’assemblèrent donc à Paris chez le maréchal de Villeroy, qui envoya une lettre de cachet du roi au gouverneur de la Bastille pour faire sortir le duc d’Estrées et le comte d’Harcourt, et les envoyer chez lui tout droit après leur dîner. Comme il ne s’agissoit plus de tribunal ni de la prétendue autorité des maréchaux de France, mais de celle du roi par ses commissaires nommés pour ce, ces messieurs obéirent sans difficulté. Aussi n’y parut-il rien de maréchaux de France. Les commissaires se levèrent et les reçurent avec toute la civilité possible, ne leur dirent pas un seul mot sur leur prétendue désobéissance, ni sur la prétendue autorité de l’office de maréchaux de France, ni de la leur. Le duc et le comte ne leur firent pas aussi la moindre excuse de ce qu’ils avoient toujours refusé de la reconnoître, et ne leur dirent pas un seul mot sur tout ce qui s’étoit passé. Le maréchal de Villeroy, dès qu’il les eut salués, leur dit tout court qu’ayant appris, par les informations qu’ils avoient tous trois faites, que les bruits qui avoient couru dans le monde n’étoient pas véritables, et les voyant contents l’un de l’autre (sans toutefois leur avoir rien demandé, ni dit un mot de plus que ce que je rapporte, ni ouï le son de leur voix), ils n’avoient qu’à les prier, et non ordonner, de s’embrasser et de vivre en amitié. Ils s’embrassèrent à l’instant, et toujours en parfoit silence. Aussitôt après le maréchal de Villeroy ajouta que les bruits de leur querelle avoient été grands ; que si dans la suite ils venoient à se brouiller, on ne pourroit s’empêcher de regarder cette brouillerie comme une suite de la première, et que le roi leur défendoit toute voie de fait,