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hasard le plus ancien des maréchaux de France qui fussent à Paris, leur envoya à Chacun un exempt de la connétablie pour demeurer auprès d’eux. Ils ne voulurent pas les recevoir ni l’un ni l’autre, parce que les ducs ni les princes étrangers ne reconnoissent point l’autorité ni la juridiction des maréchaux de France, et n’y ont jamais été soumis, encore que ce tribunal ait saisi toutes les occasions de l’entreprendre et de l’usurper. Le rare est que les ducs-maréchaux de France se sont d’ordinaire plus souciés d’une autorité passagère, et trouvés plus touchés des prétentions d’un office de la couronne, que leur amour-propre leur persuadoit acquis par leur mérite, que des prérogatives d’une dignité héréditaire et inhérente à leur maison.

Le maréchal de Villeroy, malgré tant de raisons personnelles de se défendre de cette fatuité, en étoit plus enivré qu’aucun autre. Il parla au roi ; et, comme ce fut sans contradicteur, il obtint une lettre de cachet sur-le-champ, qui enjoignit à ces messieurs de se rendre à la Bastille ou de recevoir ces mêmes exempts. Ils les reçurent donc, mais par cet ordre du roi et non par celui des maréchaux de France, et s’en expliquèrent ainsi en les recevant.

Quelques jours après, les maréchaux de France assemblés leur mandèrent de venir à leur tribunal ; le comte d’Harcourt ne se trouva point chez lui, le duc d’Estrées, qui n’étoit point sorti alors, refusa de comparaître. Le maréchal de Villeroy vint crier au roi sur le danger qu’il n’arrivât quelque chose entre ces messieurs dans la difficulté de terminer leur affaire, et n’osa jamais parler de leur prétendue désobéissance. Là-dessus le roi, qui craignit en effet qu’ils ne se rencontrassent en se dérobant aux exempts, qu’il avoit mis auprès d’eux par lettre de cachet et non de l’autorité des maréchaux de France, ordonna une nouvelle lettre de cachet à chacun d’eux, portant ordre de s’aller remettre à la Bastille, sans nulle mention dans ces lettres de cachet de leur désobéissance ni de l’autorité des maréchaux de France,