Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/39

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depuis, il se trouva tellement lié qu’il ne put s’en défaire ou qu’il ne l’osa. C’étoit donc tenir à quelqu’un que cette liaison si prompte que saisit le duc de Noailles. Il la cultiva d’assiduité, de flatteries, et de souplesses ; un contrôleur général, ministre et accrédité étoit toujours bon à avoir pour qui surtout n’avoit personne, en attendant qu’il vît jour à se servir de lui pour le raccommoder, ce qui néanmoins ne se trouva pas.

M. de Noailles, qui avoit été fort bien avec M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans, étoit brouillé avec eux pour l’affaire de Renaut, qu’il lui avoit donné, et qu’il avoit eu auparavant à lui, et pour des tracasseries avec Mme la duchesse. Dans son état florissant, il s’en seroit, je crois, peu soucié, mais dans celui où il se trouvoit, les miettes mêmes lui sembloient aiguës, il auroit voulu au moins les ramasser. Ma liaison intime avec eux étoit publique ; je passois pour l’ami de cœur et de confiance la plus totale du duc de Beauvilliers, et même du duc de Chevreuse : on n’ignoroit pas que j’étois au même point avec le chancelier. Ce qui se passoit de secret et d’intime entre le Dauphin et moi ne se savoit pas, mais on étoit en grand soupçon sur moi de ce côté-là par le chausse-pied du duc de Beauvilliers, par l’air et les manières qui échappoient pour moi au Dauphin, quand je paraissois devant lui en public, par les entretiens tête à tête qu’il avoit souvent dans le salon de Marly avec Mme de Saint-Simon, et dans leurs parties où elle se trouvoit presque toujours ; ni lui ni la Dauphine ne se contraignoient plus sur le désir de la voir succéder à la duchesse du Lude, et d’une manière encore que celle-ci, qui le savoit et en parloit, ne pouvoit en être peinée. Le roi et le monde la traitoient avec une distinction marquée de tout temps, et qui augmentoit toujours ; je l’étois bien du roi, et le monde avoit les yeux fort ouverts sur moi. Tout cela apparemment persuada au duc de Noailles que, pour un temps ou pour un autre, j’étois un homme qu’il falloit gagner, et il ne fut