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du cardinal de Coislin, et qu’il étoit grand aumônier en sa place, avec la permission de revenir l’exercer. II partit bientôt après de Rome, qu’il ne revit plus.

Le cardinal de Janson étoit un fort grand homme, bien fait, d’un visage qui, sans rien de choquant ou de singulier, n’étoit pourtant pas agréable, et avoit quelque chose de pensif sans beaucoup promettre. Il étoit plein d’honneur et de vertu, il avoit un grand amour de ses devoirs et de la piété. C’étoit une sage et excellente tête, se possédant toujours parfaitement, et qui par là a réussi en perfection dans toutes ses négociations, et a mieux servi le roi à Rome qu’aucun autre qui y ait été chargé de ses affaires. Il y étoit plus craint et plus considéré que pas un d’eux, parce que, avec une parole lente et désagréable par l’organe, qui avoit un son étranglé, il avoit une sagacité qui ajoutoit beaucoup à la finesse de son esprit et à sa justesse, qui étoit grande, en sorte qu’il n’a jamais pu être trompé, même à Rome. Il étoit consommé dans les affaires par une longue habitude, magnifique en tout et partout avec beaucoup d’ordre, fort désintéressé, affable aux plus petits, naturellement obligeant, fort poli, mais avec choix et dignité, quoiqu’il le fût à tout le monde, et l’homme du monde le plus capable d’amitié, de fidélité à ses amis et de les bien servir. Il étoit né pauvre. Son frère aîné et le père du marquis de L’Aigle, de la mort duquel je viens de parler, avoient épousé les deux filles du bonhomme La Saladie, qui avoit été autrefois fort estimé et fort avancé à la guerre. La chapelle du château de l’Aigle vaut huit cents livres de rente fondée au chapelain. Ce fut le premier bénéfice qu’il eut, et que par reconnoissance il a voulu garder toute sa vie. Il y payoit un chapelain, et faisoit donner le reste aux pauvres du lieu depuis qu’il fut devenu grand seigneur. Étant cardinal et grand aumônier, il se plaisoit à dire, devant tout le monde, à M. et à Mme de L’Aigle, qu’il étoit le grand aumônier du roi et le leur, et qu’il se faisoit honneur de demeurer le leur,