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d’aimer toujours Mme de Chevreuse ; et, depuis qu’elle eut perdu toute espérance de les culbuter, elle n’avoit pas moins d’empressement que le roi de l’attirer dans leurs parties particulières. Mme de Chevreuse, qui n’étoit pas moins détachée que son mari, ni moins désireuse que lui de vivre pour Dieu et pour elle-même, profita d’une fort longue infirmité pour se séquestrer, sous prétexte qu’elle ne pouvoit plus mettre de corps, sans quoi, en robe ou en robe de chambre, les dames ne pouvoient se présenter nulle part devant le roi. Lassé de son absence, il fît pour la rappeler de ses particuliers ce qu’il n’a jamais fait pour aucune autre. Il voulut qu’elle revînt à Marly avec dispense de tout ce qui étoit public, et que là, et à Versailles, elle vînt les soirs le voir chez Mme de Maintenon sans corps, et tout comme elle voudroit, pour sa commodité, à leurs dîners particuliers et à toutes leurs parties familières. Il lui donna, comme on l’a dit, trente mille livres de pension sur les appointements du gouvernement de la Guyenne. Fort peu en avoient de vingt mille, et pas une seule dame de plus forte. Sa douleur, qui fut telle qu’on la peut imaginer, mais qui comme elle fut courageuse et toute en Dieu, lui fut une raison légitime de séparation, mais qu’il fallut pourtant interrompre par des invitations réitérées, non pour des parties, mais pour voir le roi en particulier. Après son deuil elle tira de longue, mais elle ne put éviter les parties et les particuliers. La mort du roi rompit ses chaînes ; elle se donna pour morte ; elle s’affranchit de tous devoirs du monde ; elle vécut à l’hôtel de Luynes et à Dampierre dans sa famille, avec un cercle fort étroit de parents qui ne se pouvoient exclure, et d’amis très-particuliers. Elle dormoit extrêmement peu, passoit une longue matinée en prières et en bonnes œuvres, rassembloit sa famille aux repas, qui étoient toujours exquis sans être fort grands, toujours surprise des devoirs que le monde ne cessa jamais de lui rendre, quoiqu’elle n’en rendît aucun. C’étoit un patriarche