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les mêmes choses ; épargnez-vous-en la peine, parce que je vous déclare que jamais elles ne me persuaderont ; mais prenez une autre voie. Vous êtes un ancien ministre d’État et un très-homme de bien, et je ne dirai guère en avouant que je suis bien loin au-dessous de proportion avec vous sur ces deux points. Toute ma vie je vous ai regardé comme mon père, parce que vous avez bien voulu m’en servir, et mon respect et ma confiance vous ont aussi toujours rendu mon oracle. Je veux vous en donner la plus insigne marque, et la preuve la plus unique qui se puisse en donner à un homme, et que je ne donnerois sans exception quelconque à nul autre homme sur la terre, en quelque chose que ce fût. Tenez, monsieur, finissons ; quittez tout raisonnement, parce qu’encore une fois, vous ne me persuaderez jamais ; mais prenez la voie de l’autorité, et sans nulle sorte de raisonnement, dites-moi crûment et nettement en deux mots : « Je veux que vous fassiez telle chose. » Je ne répliquerai pas un seul mot ; et contre mon sens, contre ma conviction la plus intime, contre tout l’ouvrage que j’ai bâti et qui est pleinement achevé, j’obéirai comme un enfant, et je n’oublierai rien pour détruire tout ce que j’ai édifié et persuadé, sans cesser un instant de l’être tout autant que je le fus jamais, et je mettrai tout ce qui est en moi pour ramener les deux princes à tout ce que vous voudrez me prescrire ; mais rien sans un je le veux, et je l’exige. Vous en savez plus que moi de bien loin en affaires, vous êtes encore plus s’il se peut au-dessus de moi en piété et en lumières, je me reposerai dessus et vous sacrifierai mes sentiments les plus chers et ma conviction la plus intime. » J’avois pendant ce discours les yeux fichés sur les siens ; ils se mouillèrent de larmes. Jamais je ne vis homme si concentré ni si touché. Il se jeta à mon cou, et parlant à peine : « Non, me dit-il, c’en est trop, cela n’est pas juste, je n’y puis consentir. — Toutefois, repris-je, ce qui est en débat entre vous et moi ne peut finir que par là. N’espérez