Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/240

Cette page n’a pas encore été corrigée

cour des Fontaines. Tous les soirs M. de Beauvilliers traversoit tout cet espace seul, sans laquais, ni flambeau, ni personne avec lui, montoit mon degré assez court à tâtons, et pendant le souper du roi me faisoit lui lire ce que j’avois écrit depuis la veille. Il étoit environ une heure avec moi, et s’en retournoit seul comme il étoit venu. Le duc de Noailles, seul de nous cinq, ignoroit que je travaillasse ; et le duc de Beauvilliers fut le seul qui vit ce que je faisois avant que ce fût achevé. Il en fut content, et il le dit aux trois autres. Cependant le duc de Noailles faisoit suer ses inconnus dans son grenier : et il en sortit enfin un assez court mémoire, comme le mien étoit tout près de s’achever.

Je ne ferai point ici d’analyse de l’un ni de l’autre ; mais je dirai d’autant plus franchement que celui du duc de Noailles étoit, à la diction près, fort médiocre, pour en parler modestement, et qu’il n’y avoit de lui que la seule diction. Le sien et le mien convenoient pour le principal et l’essentiel. Le mien se trouve dans les Pièces. Je l’avois intitulé : Mémoire succinct sur les formes, etc. L’abondance de la matière et la nécessité des preuves m’emportèrent tellement que, de succinct que je comptois qu’il seroit, je fis un gros ouvrage. La longueur dont en seroit même l’extrait m’empêche d’en rien insérer ici, mais il faut le voir dans les Pièces, pour entendre la dispute dont je vais parler et dont l’explication seroit ici trop longue. Ainsi je suppose que je la vais raconter à qui a lu le Mémoire, prétendu succinct, sur les formes, etc., qui est dans les Pièces.

Le duc de Noailles et moi, raisonnant sur la matière, nous aperçûmes bientôt tous deux qu’il y avoit un point sur lequel nous n’étions pas d’accord. J’estimois qu’on ne pouvoit employer que les ducs-pairs, et même vérifiés, et aussi les officiers de la couronne. Le duc de Noailles croyoit, ou vouloit croire, qu’il y falloit joindre les gouverneurs de province et les chevaliers de l’ordre, en faveur de la noblesse,