Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/229

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il ne faut pas omettre la mort de Mme Herval, quoique personne purement de la ville. On a rarement vu ensemble tant de vertu, de sagesse, de piété également soutenue toute sa vie, dans la plus simple modestie, avec une si parfaite et si durable beauté. Elle étoit sœur de Bretonvilliers, lieutenant de roi de Paris, qui venoit de mourir subitement, et veuve d’Herval, fort enrichi sous M. Fouquet, depuis intendant des finances, fort dans le grand monde, et le plus gros joueur de son temps. Elle n’avoit point d’enfants ; c’étoit une femme qui avec du monde, de l’esprit et de la politesse, s’étoit toujours fort retirée, qui avoit refusé de grands mariages pour sa beauté, sa vertu, et ses biens dont elle faisoit de grandes aumônes, et qui depuis longtemps s’étoit mise dans un couvent où elle voyoit à peine sa plus proche famille.

L’abbé Servien fut chassé de Paris, et envoyé je ne me souviens plus où. Il étoit frère de Sablé et de la feue duchesse de Sully, tous enfants du surintendant des finances. Rien de si obscur ni de si débordé que la vie de ces deux frères, tous deux d’excellente compagnie et de beaucoup d’esprit. L’abbé étoit à l’Opéra, où on chantoit au prologue un refrain de louange excessive du roi, qui se répéta plusieurs fois. L’abbé, impatienté de tant de servitude, retourna le refrain fort plaisamment à contre-sens, et se mit à le chanter tout haut d’un air fort ridicule, qui fit applaudir et rire à imposer silence au spectacle. L’exil ne dura pas ; il y fit le malade, et le mépris que faute de mieux on voulut montrer aida fort à la liberté de son retour. Il ne paraissoit jamais à la cour, et peu à Paris, en compagnies honnêtes. Ses goûts ne l’étoient pas, quoique l’esprit fût orné et naturellement plaisant, de la fine et naturelle plaisanterie, sans jamais avoir l’air d’y prétendre. Il mourut comme il avoit vécu, d’une misérable façon, chez un danseur de l’Opéra où il fut surpris. Il est pourtant vrai qu’avec cette vie il disoit exactement son bréviaire, ainsi que le cardinal de Bouillon.