Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/200

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Je résistai quelques jours, mais il vint un matin trouver Mme de Saint-Simon pendant que j’étois à la messe du roi, à qui il dit qu’il savoit très-précisément que Mme de Maintenon alloit éclater contre moi, et que, sans en alléguer nulle cause, j’allois être chassé, si de moi-même je ne me retirois pour un temps. Tout de suite il se chargea de m’avertir du train que les choses prendroient à mon égard, et de m’avertir de revenir dès qu’il y verroit sûreté. Il pria en même temps Mme de Saint-Simon de penser à une sorte de langage de chiffre, pourtant sans chiffre, dont elle se pût servir pour me faire entendre ce qu’il lui diroit de me mander pendant mon absence, et la conjura que cela fût fait dans la journée pour me faire partir le lendemain comme ayant à la Ferté une affaire pressée qui m’y demandoit, et que lui se chargeoit de le dire au roi et de lui faire trouver bon que je n’achevasse pas les quatre ou cinq jours qui restoient à demeurer à Marly. Je le trouvai encore en rentrant chez moi. L’alarme bien plus vive où je le vis me fit moins d’impression que ses manières de parler absolues et déterminées, et l’air d’autorité avec lequel il s’expliqua. Rien n’étoit moins de son caractère, et depuis des années rien de si nouveau avec moi. Le secret d’autrui étoit chez lui impénétrable. Son ton et son expression me firent sentir ce qu’il ne disoit pas, et [me parurent] pris exprès pour, sous un conseil si vif, si pressé, si fort impératif, me montrer un ordre qu’il n’avoit pas la liberté d’avouer. Mme de Saint-Simon et moi ne vîmes pas lieu à une plus longue défense. J’employai le reste du jour à répandre doucement la prétendue nécessité de mon voyage, à faire ma cour à l’ordinaire, à voir M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans, et me disposer à partir, comme je fis le lendemain matin. Je ne vis jamais si promptement changer un visage très-austère en un très-serein que fit celui du duc, sitôt que j’eus lâché la parole de partir. Jamais il ne m’en a dit davantage là-dessus, et je suis toujours demeuré persuadé