Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/165

Cette page n’a pas encore été corrigée

duquel je ne parlai que l’après-dînée tête à tête à M. le duc d’Orléans. Le lendemain, je sus par lui que le roi avoit dit sèchement qu’il avoit changé d’avis sur Humbert ; qu’il étoit inutile qu’il allât se remettre à la Bastille, et qu’il n’y seroit pas reçu ; qu’ayant voulu insister, le roi lui avoit tourné le dos, et s’en étoit allé dans sa garde-robe, et lui étoit sorti du cabinet ; en sorte qu’il venoit de mander ce changement à Humbert, que nous sûmes après être allé à la Bastille, sur l’ordre qu’il en avoit reçu de M. le duc d’Orléans, et y avoir été refusé.

De ces jours-là du premier éclat à Marly et dans le monde, M. le duc d’Orléans fut non-seulement abandonné de tout le monde, mais il se faisoit place nette devant lui chez le roi et dans le salon, et, s’il y approchoit d’un groupe de courtisans, chacun sans le plus léger ménagement faisoit demi-tour à droite ou à gauche, et s’alloit rassembler à l’autre bout, sans qu’il lui fût possible d’aborder personne que par surprise, et même aussitôt après, il étoit laissé seul avec l’indécence la plus marquée. Jusqu’aux dames désertèrent un temps Mme la duchesse d’Orléans, et il y en eut qui ne la rapprochèrent plus. Après avoir si pitoyablement enfourné, il fallut laisser passer l’orage ; mais l’orage étoit trop soigneusement entretenu pour passer. Il fut soutenu avec la même frayeur de son approche, la même aliénation jusqu’au dernier Marly de la vie du roi, où ce monarque menaça ouvertement ruine, et quand les bruits faiblissoient dans Paris et dans les provinces, il s’y trouvoit des émissaires adroits et attentifs à les renouveler, et d’autres à en faire retentir l’écho à la cour, et cela dura toujours, et bien après le roi, avec le même art. En un mot, je fus le seul, je dis exactement l’unique, qui continuai à voir M. le duc d’Orléans à mon ordinaire, et chez lui et chez le roi, à l’y aborder, à nous asseoir tous deux en un coin du salon, où assurément nous n’avions aucun tiers à craindre, à me promener avec lui dans les jardins, et à la vue des fenêtres du