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craindre et à admirer son esprit. Avec tant de vices si opposés au goût et au caractère du roi et de Mme de Maintenon, il en étoit bien voulu et traité avec distinction, parce qu’il avoit eu part, avec le chevalier de Lorraine, à réduire Monsieur au mariage de M. son fils, et ce dernier par l’abbé Dubois ; que, par conséquent, il s’étoit toujours entretenu bien avec Mme la duchesse d’Orléans ; qu’il s’étoit sourdement livré et vendu à M. du Maine ; et que par son ancienne intimité avec le chevalier de Lorraine, l’ami le plus intime du maréchal de Villeroy de tous les temps, il étoit devenu le sien jusqu’à s’en faire admirer. Le conseil qu’il avoit donné étoit si mauvais, pour un homme surtout d’autant d’esprit et qui connoissoit si bien le monde, qu’il me fut fort suspect.

Par cette conduite M. le duc d’Orléans se ravaloit à la condition des plus petites gens, d’un valet même d’une maison volée, au lieu de l’avoir pris sur le haut ton, et en prince de son rang, sur qui aucun soupçon ne sauroit trouver prise, qui défie avec dignité d’en pouvoir produire ni articuler le moindre appui, ni l’apparence la plus légère, et qui, en faisant en public le parallèle exact et juste de son intérêt et de celui de M. du Maine, tel qu’on vient de le voir, l’auroit fait trembler avec toute sa faveur, l’auroit réduit à la défensive, et peut-être, fait comme il étoit sur le courage, l’auroit forcé à jeter l’éteignoir sur le feu qu’il avoit allumé, et obligé le roi à le ménager, et Mme de Maintenon à ne le pousser plus. C’est ce que tout d’abord il falloit faire, après avoir demandé justice au roi avec hauteur devant tout ce qui étoit après son souper dans le cabinet, et ne l’avoir pas reçue ; et, sans s’engager en accusation directe, encore moins formelle, parler publiquement, assez fortement pour donner toute cette peur à M. du Maine, et le mettre dans l’embarras encore du côté du public, déjà si mal prévenu pour lui, et alors irrité des pas de géant qu’il venoit de faire ; en même temps faire souvenir le roi et ceux qui en étoient instruits, répandre pour l’apprendre à tout le monde le