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d’être déclaré ; la publicité que la rage de cette grande affaire leur donna ensuite, le trop peu de cas que l’un et l’autre en firent, et le trop peu de ménagement là-dessus ; enfin jusqu’à l’horrible opinion prise sur Monsieur de la mort de sa première épouse, et que M. le duc d’Orléans étoit le fils de Monsieur ; tout cela forma ce groupe épouvantable dont ils surent fasciner le roi, et aveugler le public.

Il en fut, comme je l’ai remarqué, si rapidement abreuvé que, dès le 17 février, que M. le duc d’Orléans fut avec Madame donner l’eau bénite à la Dauphine, la foule du peuple dit tout haut toutes sortes de sottises contre lui tout le long de leur passage, que lui et Madame entendirent très-distinctement, sans oser le montrer, mais dans la peine, l’embarras et l’indignation qui se peut imaginer. Il y eut même lieu de craindre pis d’une populace excitée et crédule, lorsque, le 21 février, il alla seul donner l’eau bénite au Dauphin. Aussi essuya-t-il sur son passage les insultes les plus atroces d’un peuple qui ne se contenoit pas, qui lançoit tout haut les discours les plus énormes, qui le montroit au doigt avec les épithètes les plus grossières, que personne n’arrêtoit, et qui croyoit lui faire grâce de ne se pas jeter sur lui et le mettre en pièces. Ce fut la même chose au convoi. Les chemins retentissoient de cris plus d’indignation et d’injures que de douleur. On ne laissa pas de prendre sans bruit quelques précautions dans Paris pour empêcher la fureur publique dont les bouillons se firent craindre en divers moments. Elle s’en dédommagea par les gestes, les cris, et par tout ce qui se peut d’atroce, vomi contre M. le duc d’Orléans. Vers le Palais-Royal, devant lequel le convoi passa, le redoublement de huées, de cris, d’injures, fut si violent, qu’il y eut lieu de tout craindre pendant quelques minutes.

On peut imaginer le grand usage que M. du Maine sut tirer de la folie publique, du retentissement des cafés de Paris, de l’entraînement du salon de Marly, de celui du parlement, où le premier président lui rendit religieusement