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Les ducs et duchesses de Beauvilliers et de Chevreuse étoient uniques dans ce secret, et les uniques aussi avec qui en consulter. M. de Beauvilliers prit le parti de ne confier la cassette à personne, quoique le roi en eût la clef, et d’attendre que sa santé lui permît de la porter lui-même, pour essayer, étant avec lui, de dérober ces papiers à sa vue parmi tous les autres de quelque manière que ce fût. Cette mécanique étoit difficile, car il ne savoit pas même la position de ces papiers si dangereux parmi les autres dans la cassette, et cependant c’étoit la seule ressource. Une si terrible incertitude dura plus de quinze jours.

Le lundi, dernier février, le roi vit dans son cabinet sur les cinq heures le duc de Beauvilliers pour la première fois, qui n’avoit pas [été] en état de s’y rendre plus tôt. Mon logement étoit assez près du sien et de plain-pied, donnant au milieu de la galerie de l’aile neuve, de plain-pied aussi au grand appartement du roi. Le duc à son retour entra chez moi, et nous dit, à Mme de Saint-Simon et à moi, que le roi lui avoit ordonné de lui porter le lendemain au soir chez Mme de Maintenon la cassette du Dauphin, et nous répéta que, sans oser ni pouvoir répondre de rien, il seroit bien attentif à éviter, s’il étoit possible, que le roi vît ce qui y étoit de moi ; et nous promit de revenir le lendemain au retour de chez Mme de Maintenon nous en apprendre des nouvelles. On peut juger s’il fut attendu, et à portes bien fermées. Il arriva, et avant de s’asseoir nous fit signe de n’avoir plus d’inquiétude. Il nous conta que tout le dessus de la cassette, et assez épaissement, s’étoit heureusement trouvé rempli d’un fatras de toutes sortes de mémoires et de projets sur les finances, et de quelques autres d’intérieurs de province, qu’il en avoit lu exprès une quantité au roi pour le lasser, et qu’il y avoit réussi tellement qu’à la fin le roi s’étoit contenté d’en entendre les titres, et que fatigué de ne trouver autre chose, s’étoit persuadé que le fond n’étoit pas plus curieux, avoit dit que ce n’étoit pas la peine d’en