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noblesse française si célèbre, si illustre, devenue un peuple presque de la même sorte que le peuple même, et seulement distinguée de lui en ce que le peuple a la liberté de tout travail, de tout négoce, des armes même, au lieu que la noblesse est devenue un autre peuple qui n’a d’autre choix qu’une mortelle et ruineuse oisiveté, qui par son inutilité à tout la rend à charge et méprisée, ou d’aller à la guerre se faire tuer, à travers les insultes des commis des secrétaires d’État, et des secrétaires des intendants, sans que les plus grands de toute cette noblesse par leur naissance, et par les dignités qui, sans les sortir de son ordre, les met au-dessus d’elle, puissent éviter ce même sort d’inutilité, ni les dégoûts des maîtres de la plume lorsqu’ils servent dans les armées. Surtout il ne pouvoit se contenir contre l’injure faite aux armes, par lesquelles cette monarchie s’est fondée et maintenue, qu’un officier vétéran, souvent couvert de blessures, même lieutenant général des armées, retiré chez soi avec estime, réputation, pensions même, y soit réellement mis à la taille avec tous les autres paysans de sa paroisse, s’il n’est pas noble, par eux et comme eux, et comme je l’ai vu arriver à d’anciens capitaines chevaliers de Saint-Louis et à pension, sans remède pour les en exempter, tandis que les exemptions sont sans nombre pour les plus vils emplois de la petite robe et de la finance, même après les avoir vendus, et quelquefois héréditaires.

Ce prince ne pouvoit s’accoutumer qu’on ne pût parvenir à gouverner l’État en tout ou en partie, si on n’avoit été maître des requêtes, et que ce fût entre les mains de la jeunesse de cette magistrature que toutes les provinces fussent remises pour les gouverner en tout genre, et seuls, chacun la sienne à sa pleine et entière discrétion, avec un pouvoir infiniment plus grand, et une autorité plus libre et plus entière, sans nulle comparaison, que les gouverneurs de ces provinces en avoient jamais eue, qu’on avoit pourtant voulu si bien abattre qu’il ne leur en étoit resté que le nom