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conjonctures des années suivantes ne permirent pas de le renvoyer à la tête des armées. À la fin on y crut sa présence nécessaire pour les ranimer, et y rétablir la discipline perdue. Ce fut en 1708. On a vu l’horoscope que la connoissance des intérêts et des intrigues m’en fit faire au duc de Beauvilliers dans les jardins de Marly, avant que la déclaration fût publique, et on a vu l’incroyable succès, et par quels rapides degrés de mensonges, d’art, de hardiesse démesurée d’une impudence à trahir le roi, l’État, la vérité jusqu’alors inouïe, une infernale cabale, la mieux organisée qui fût jamais, effaça ce prince dans le royaume dont il devoit porter la couronne, et dans sa maison paternelle, jusqu’à rendre odieux et dangereux d’y dire un mot en sa faveur. Cette monstrueuse anecdote a été si bien expliquée en son lieu que je ne fais que la rappeler ici. Une épreuve si étrangement nouvelle et cruelle étoit bien dure à un prince qui voyoit tout réuni contre lui, et qui n’avoit pour soi que la vérité suffoquée par tous les prestiges des magiciens de Pharaon ; il la sentit dans tout son poids, dans toute son étendue, dans toutes ses pointes. Il la soutint aussi avec toute la patience, la fermeté, et surtout avec toute la charité d’un élu qui ne voit que Dieu en tout, qui s’humilie sous sa main, qui se purifie dans le creuset que cette divine main lui présente, qui lui rend grâces de tout, qui porte la magnanimité jusqu’à ne vouloir dire ou faire que très-précisément ce qu’il se doit, à l’État, à la vérité, et qui est tellement en garde contre l’humanité qu’il demeure bien en deçà des bornes les plus justes et les plus saintes.

Tant de vertu trouva enfin sa récompense dès ce monde, et avec d’autant plus de pureté, que le prince, bien loin d’y contribuer, se tint encore fort en arrière. J’ai assez expliqué tout ce qui regarde cette précieuse révolution, [pour] que je me contente ici de la montrer, et que les ministres et la cour aux pieds de ce prince devenu le dépositaire du cœur du roi, de son autorité dans les affaires et dans les grâces,