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à la messe qui se disoit dans sa chambre ; mais personne n’en sut rien ce soir-là, et on ne l’apprit que le lendemain dans la matinée. Ce même soir du mercredi j’allai assez tard chez le duc et la duchesse de Chevreuse, qui logeoient au premier pavillon, et nous au second, tous deux du côté du village de Marly. J’étois dans une désolation extrême ; à peine voyois-je le roi une fois le jour. Je ne faisois qu’aller plusieurs fois le jour aux nouvelles, et uniquement chez M. et Mme de Chevreuse, pour ne voir que des gens aussi touchés que moi, et avec qui je fusse tout à fait libre. Mme de Chevreuse non plus que moi n’avoit aucune espérance ; M. de Chevreuse, toujours équanime, toujours espérant, toujours voyant tout en blanc, essaya de nous prouver, par ses raisonnements de physique et de médecine, qu’il y avoit plus à espérer qu’à craindre, avec une tranquillité qui m’excéda et qui me fit fondre sur lui avec assez d’indécence, mais au soulagement de Mme de Chevreuse et de ce peu qui étoit avec eux. Je m’en revins passer une cruelle nuit. Le jeudi matin, 18 février, j’appris dès le grand matin que le Dauphin, qui avoit attendu minuit avec impatience, avoit ouï la messe bientôt après, y avoit communié, avoit passé deux heures après dans une grande communication avec Dieu, que la tête s’étoit après embarrassée ; et Mme de Saint-Simon me dit ensuite qu’il avoit reçu l’extrême-onction ; enfin, qu’il étoit mort à huit heures et demie. Ces Mémoires ne sont pas faits pour y rendre compte de mes sentiments. En les lisant on ne les sentira que trop, si jamais longtemps après moi ils paroissent, et dans quel état je pus être et Mme de Saint-Simon aussi. Je me contenterai de dire qu’à peine parûmes-nous les premiers jours un instant chacun, que je voulus tout quitter et me retirer de la cour et du monde, et que ce fut tout l’ouvrage de la sagesse, de la conduite, du pouvoir de Mme de Saint-Simon sur moi que de m’en empêcher avec bien de la peine.