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Le duc de Fronsac épousa la fille unique de feu M. de Noailles, frère du cardinal et de la troisième femme du duc de Richelieu, son père, qui en se mariant avoient arrêté cette affaire entre leurs enfants. Ce petit duc de Fronsac, qui n’avoit guère alors que seize ans, étoit la plus jolie créature de corps et d’esprit qu’on pût voir. Son père l’avoit présenté déjà à la cour, où Mme de Maintenon, ancienne amie de M. de Richelieu, comme je l’ai dit ailleurs, en fit comme de son fils, et par conséquent Mme la duchesse de Bourgogne et tout le monde lui fit merveilles, jusqu’au roi. Il y sut répondre avec tant de grâce, et se démêler avec tant d’esprit, de finesse, de liberté, de politesse, qu’il devint bientôt la coqueluche de la cour. Son père lui laissa la bride sur le cou ; sa figure enchanta les dames. Celle de sa femme, qui n’avoit pourtant rien de désagréable, ne le charma pas. Livré au monde avec tout ce qu’il falloit pour plaire et ne rien valoir, il fit force sottises qui firent faire, moins de trois mois après son mariage, celle à son père de le faire mettre à la Bastille. Ce fut un lieu avec lequel il fit si bonne connoissance qu’on l’y verra plus d’une fois.

Il se fit un petit mariage qui sembleroit devoir être omis ici, mais dont les singularités méritent d’y trouver place, c’est celui de Villefort avec Jeannette. Cela ne promet pas, et toutefois cela va rendre. Il faut expliquer les personnages : la mère de Villefort étoit belle, de grand air, de belle taille ; elle perdit son mari officier-major de je ne sais plus quelle place ; elle n’avoit rien que des enfants, ou fort peu à partager avec eux. Elle avoit de l’esprit et de l’intrigue, mais sans galanterie, et de la vertu. Elle eut quelque recommandation particulière auprès de Mme de Maintenon, à qui par là elle parvint à être présentée. Mme de Maintenon, ainsi que le roi, étoit la personne du monde qui se prenoit le plus par les figures. L’air modeste, affligé, malheureux de celle-ci la toucha. Elle lui fit donner une pension, la prit en protection singulière, lui trouva de l’esprit ; la figure la