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Arrivé enfin à la faveur et aux privances avec le funeste appui de la coupable fécondité de sa mère, il sentit ses forces, et il se crut en état de se faire écouter du roi, et craindre de ceux qu’il avoit à attaquer. Il choisit Marly comme un lieu qui lui étoit encore plus favorable. Il épia son moment dans les cabinets, et le trouva le samedi 10 janvier de cette année. Là il dit au roi que, comblé de ses grâces, il lui siéroit mal de l’importuner pour de nouvelles, mais qu’étant le plus juste des rois, il croyoit devoir à Sa Majesté et à soi-même de lui représenter qu’il souffroit une injustice de sa part, qu’il ne pouvoit se persuader qui fût dans sa mémoire, puisque, comblé de ses bienfaits, il ne pouvoit croire qu’il la voulût faire au plus inconnu de ses sujets. Après ce bel exorde, il dit au roi que sa coutume étoit de laisser à chacun le libre cours de la justice, et entre particuliers de ne se mêler point de leurs affaires ; que néanmoins il en avoit une où il alloit de toute sa fortune, qui ne touchoit le roi en rien, et qui étoit arrêtée par sa seule autorité ; que cette affaire étoit la prétention à la dignité de duc et pair d’Épernon, que le dernier marquis de Rouillac avoit poursuivie après son père, et que le crédit des ducs prêts à la perdre avoit suspendue par un coup d’autorité du roi, que depuis il avoit eu la bonté de permettre à Mlle de Rouillac de reprendre cette instance dont le succès auroit fait son établissement ; que les difficultés toujours plus fâcheuses à ce sexe, et la grande piété de Mlle de Rouillac lui avoient fait prendre le parti d’un saint repos, dans lequel elle étoit morte : qu’il avoit recueilli ses droits avec sa succession dans des temps où il n’avoit pas trop osé demander justice ; que maintenant qu’il se croyoit assez heureux pour que ces temps fussent changés, il ne demandoit pour toute grâce que celle qu’il ne refusoit à personne, et de lui permettre de faire valoir son droit ; qu’il ne seroit importuné de rien ; que ce seroit un procès à l’ordinaire à la grand’chambre ; qu’il avoit extrêmement examiné et fait