Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/419

Cette page n’a pas encore été corrigée

duc de trouver bon qu’au premier conseil il profitât de ce petit passage long et noir qui avoit d’un côté la chambre du premier valet de chambre en quartier, et de l’autre une vaste armoire, et qui étoit l’unique entrée de l’antichambre dans la chambre du roi, et que là, comme passant presque ensemble, il le serrât, lui prît la main, et lui exprimât au moins par ce langage muet ce qu’il n’avoit pas encore la liberté de lui dire. Le duc y consentit, et cela fut exécuté de la sorte.

Au bout de dix ou douze jours, M. de Beauvilliers me chargea d’avertir le chancelier qu’il irait chez lui le lendemain après dîner avec le duc de Chevreuse qui avoit à lui parler, et, ce qui me surprit fort, de le prier de ne lui rien témoigner devant ce tiers à qui toutefois il ne cachoit rien et qui étoit ami particulier du chancelier ; il ne voulut non plus que je m’y trouvasse. La visite ne se passa que civilement, quoique avec plus d’onction qu’il n’y en avoit eu jusque-là entre eux. Quand elle fut finie, le duc de Beauvilliers pria le duc de Chevreuse de le laisser seul avec le chancelier. Alors se firent les remercîments d’une part, les embrassades et les protestations de toutes les deux d’une amitié sincère. Le chancelier ne feignit point de s’avouer vaincu de tous points, et l’obligé de toutes les sortes. Ils se remirent, pour abréger, à tout ce que je leur avois dit de la part de l’un à l’autre ; ils convinrent que leur réconciliation demeureroit secrète pour éviter les discours et les raisonnements ; et ils se séparèrent extrêmement contents l’un de l’autre. Le duc de Chevreuse attendoit son beau-frère avec qui il s’en alla, et le chancelier avoit mis ordre à être trouvé seul, et qu’il ne se trouvât personne chez lui pendant leur visite. Le duc et le chancelier me rendirent tous deux ce qui s’y étoit passé, et tous deux me prièrent que leur commerce continuât à passer par moi. Tous deux aussi me rendirent longtemps comment les choses se passoient entre eux en conseil.