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trop outré de voir toute la faveur et l’autorité, sur lesquelles il avoit si raisonnablement compté sous Monseigneur, passées par la mort de ce prince au duc de Beauvilliers, et qu’il jouissoit déjà d’avance d’une grande partie, pour souffrir d’entendre parler de l’humiliation de se courber devant cet homme qu’il s’étoit accoutumé à attaquer et à haïr, et consentir à lui faire des avances.

Plein de mon idée, j’allai une après-dînée à la chancellerie, où il logeoit, à heure de l’y trouver seul et de n’être pas interrompu. Il avoit un petit jardin particulier le long de son appartement et de plain-pied qu’il appeloit sa Chartreuse, et qui y ressembloit en effet, où il aimoit à se promener seul, et souvent avec moi tête à tête. Dès qu’il me vit entrer dans son cabinet, il me mena dans ce petit jardin, affamé de causer depuis notre longue séparation de Marly, et qu’il ne faisoit que d’arriver à Fontainebleau où je ne l’avois vu qu’un soir ou deux avec du monde. Là, après une conversation vague, assez courte, des gens qui effleurent tout parce qu’ils ont beaucoup à se dire, je lui demandai, à propos du travail des ministres chez le Dauphin, et de la grandeur nouvelle du duc de Beauvilliers dont il étoit fort affecté, s’il savoit tout ce qui s’étoit passé à Marly, et si son fils lui en avoit rendu compte. Sur ce qu’il m’en dit, et qui n’avoit nul trait à son fait, je regardai le chancelier en lui demandant s’il ne lui avoit rien appris de plus particulier et de plus intéressant. Il m’assura que non, avec curiosité de ce que je voulois dire. « Oh ! bien donc, monsieur, repris-je, apprenez donc ce que votre éloignement continuel de Marly et votre passion pour Pontchartrain, d’où vous voudriez ne bouger, vous fait ignorer, et à quoi peut-être cette conduite vous expose : c’est que M. votre fils a été au moment d’être chassé. — Hélas ! me répondit-il en haussant les épaules, à la conduite qu’il a, et aux sottises qu’il fait tous les jours, c’est un malheur auquel je m’attends à tous instants. » Puis se tournant vers moi d’un air fort agité : « Mais contez-