Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/406

Cette page n’a pas encore été corrigée

lui être présenté. J’y avois joint, en faveur de la haute noblesse, la lettre que le roi écrivit à ses ambassadeurs et autres ministres dans les cours étrangères, du 19 décembre 1670, sur la rupture du mariage de Mademoiselle avec M. de Lauzun, parce que mon dessein, comme on l’a pu déjà voir, n’étoit pas moins de la relever que les chutes de notre dignité.

Quelque occupé que fût le Dauphin de l’affaire qui enfanta depuis la fameuse bulle Unigenitus que le roi lui avoit renvoyée en partie, il me donna heure dans son cabinet. J’eus peine à cacher dans mes poches, sans en laisser remarquer l’enflure, tout ce que j’avois à lui porter. Il en serra plusieurs papiers parmi les siens les plus importants, et les autres avec d’autres qui ne l’étoient pas moins, et j’admirai cependant l’ordre net et correct dont il les tenoit tous, malgré les changements de lieu si ordinaires de la cour, qui n’étoit pas une de ses moindres peines. Avant de les mettre sous la clef, il voulut passer les yeux sur notre décadence, et fut épouvanté du nombre des articles. Son étonnement augmenta bien davantage, lorsque je lui fis entendre en peu de mots le contenu du dernier article, qui comprenoit une infinité de choses qui auroient pu faire autant d’autres articles, mais que j’avois ramassés ensemble pour le fatiguer moins, et n’avoir pas l’air d’un juste volume. Je lui lus la préface, et je lui expliquai les sources d’où j’avois puisé ce qui a précédé mon temps. Il admira la grandeur du travail, l’ordre et la commodité des deux différentes tables ; il me remercia de la peine que j’y avois prise, comme si je n’y eusse pas été intéressé ; il me répéta que, puisque je l’avois bien voulu, il ne pouvoit regretter la peine que m’avoit donnée l’ordre chronologique qu’il m’avoit demandé, auquel j’avois si nettement suppléé par l’arrangement des tables, que je ne lui dissimulai pas avoir été ce qui m’avoit le plus coûté. Je lui dis qu’avec un prince superficiel et moins désireux d’approfondir et de savoir à fond, je me serois bien