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doucement reproché que je ne l’en croyois pas capable, je me laissai vaincre, et je lui dis que tout consistoit en deux points : le premier d’être en garde continuelle de tout propos le moins du monde licencieux en présence du Dauphin, et chez Mme la princesse de Conti où le Dauphin alloit quelquefois, et d’où de tels discours lui pourroient revenir ; que son indiscrétion là-dessus lui aliénoit ce prince plus dangereusement et plus loin beaucoup qu’il ne pouvoit se l’imaginer, et que ce que je lui disois là-dessus n’étoit pas opinion, mais science ; que la discrétion opposée lui plairoit tant, qu’elle le feroit revenir peu à peu, en lui ôtant l’occasion de l’horreur qu’il concevoit de ces choses, et de celui qui les produisoit, par conséquent la crainte et les entraves où sa présence le mettoit, qui se changeroient en aise et en liberté quand l’expérience lui auroit appris qu’il pouvoit l’entendre sans scandale, et se livrer sans scrupule à sa conversation, dont les arts, les sciences et des choses historiques entretiendroient la matière entre eux, et peu à peu en banniroit toute contrainte, et n’y laisseroit que de l’agrément. L’autre point étoit d’aller moins souvent à Paris, d’y faire la débauche au moins à huis clos, puisqu’il étoit assez malheureux que de la vouloir faire, et d’imposer assez à lui-même, et à ceux qui la faisoient avec lui, pour qu’il n’en fût pas question le lendemain matin.

Il goûta un expédient qui n’attaquoit point ses plaisirs ; il me promit de le suivre. Il y fut fidèle, surtout pour les propos en présence du Dauphin, ou qui lui pouvoient revenir. Je rendis ce que j’avois fait au duc de Beauvilliers. Le Dauphin s’aperçut bientôt de ce changement, et le dit au duc, par qui il me revint. Peu à peu ils se rapprochèrent ; et comme M. de Beauvilliers craignoit toute nouveauté apparente, et qu’il n’avoit pas accoutumé de voir M. le duc d’Orléans, tout entre eux passa par moi, et après ce Marly, où le duc de Chevreuse n’étoit point, par lui et par moi, tantôt l’un tantôt l’autre.