Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/364

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui me fut un autre appui très-fort près de lui, que le duc de Beauvilliers fortifia toujours, et par amitié, et plus encore par l’opinion qu’il avoit d’elle. Ainsi tout me portoit dans la confiance et dans l’amitié libre et familière du Dauphin.

La cour changée par la mort de Monseigneur, il fut question pour moi de changer de conduite à l’égard du nouveau Dauphin. M. de Beauvilliers m’en parla d’abord, mais il jugea que ce changement ne devoit se faire que fort lentement, et de manière à y accoutumer sans effaroucher. J’avois en divers temps échappé à d’étranges noirceurs ; je devois compter que les regards se fixeroient sur moi à proportion de la jalousie, et que je n’en pouvois éviter les dangers qu’en voilant ma situation nouvelle, si fort changée par le changement de toute la scène de la cour ; pour cela ne m’approcher à découvert que peu à peu du prince, à mesure que son asile se fortifieroit à mon égard, c’est-à-dire à mesure qu’il croîtroit auprès du roi en confiance, et en autorité dans les affaires et dans le monde. Je crus néanmoins à propos de le sonder dès les premiers jours de son nouvel essor. Un soir que je le joignis dans les jardins de Marly, où il étoit peu accompagné, et de personne qui me tînt de court, je profitai de son accueil gracieux pour lui dire comme à la dérobée, que bien des raisons qu’il n’ignoroit pas m’avoient retenu jusqu’alors dans un éloignement de lui nécessaire, que maintenant j’espérois pouvoir suivre avec moins de contrainte mon attachement et mon inclination, et que je me flattois qu’il l’auroit agréable. Il me répondit bas aussi qu’il y avoit en effet des raisons quelquefois qui retenoient ; qu’il croyoit qu’elles avoient cessé ; qu’il savoit bien quel j’étois pour lui ; et qu’il comptoit avec plaisir que nous nous verrions maintenant plus librement de part et d’autre. J’écris exactement les paroles de sa réponse pour la singulière politesse de celles qui la finissent. Je la regardai comme l’engagement heureux d’une amorce qui