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Pontchartrain n’osoit expédier en une forme insolite sans permission du roi, à qui il ne croyoit pas qu’il fut à propos pour moi de la demander. Je répondis à d’Aubanton en remontant mon ton, sans sortir pourtant d’un air de politesse pour lui, et de modestie pour moi, que je n’étois pas surpris qu’une telle affaire eût une pareille issue depuis que Pontchartrain en avoit fait la sienne propre ; que c’étoit le prix de vingt ans d’amitié, et de ma complaisance du temps de Chamillart pour n’en pas dire davantage ; qu’après ce sacrifice si bien senti alors par lui, et dans une alliance si proche qu’il pouvoit un peu compter, il me faisoit un tour que je ne pourrois attendre d’un autre secrétaire d’État en sa place avec qui je serois dans la plus parfaite indifférence ; que j’entendois bien le nœud de la difficulté, qui étoit qu’à l’ombre d’une nomination subalterne et obscure d’un capitaine garde-côte, si fort sous sa main, il feroit de ces emplois les récompenses de ses laquais ; qu’il y avoit tant de distance de l’étendue du pouvoir de sa charge aux bornes si étroites de mon gouvernement que je ne laissois pas d’être surpris qu’il pût être touché de l’accroître de ma dépouille, jusqu’à l’avoir si adroitement, si longuement et si ténébreusement ménagée ; que, tant que j’avois cru n’avoir affaire qu’à un édit bursal et à un capitaine garde-côte, l’évidente bonté de mes raisons me les avoit fait soutenir ; que voyant clair enfin, et ne pouvant plus méconnoître ce que je m’étois caché à moi-même tant que j’avois pu, je savois trop la disproportion sans bornes du crédit de la place de Pontchartrain à celui d’un duc et pair, et d’un homme de ma sorte, pour prendre le parti de lutter avec lui ; que je sentois dans toute son étendue la facile victoire qu’il remportoit sur moi, et les moyens obscurs qui pied à pied la lui acquéroient ; que je cédois dans la pleine connoissance de mon impuissance, mais qu’en cédant je cédois tout, et n’entendrois jamais parler sur quoi que ce pût être des milices de Blaye.