Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/219

Cette page n’a pas encore été corrigée

amertume. Il ajouta qu’en le lui donnant M. de Chevreuse lui avoit dit, pour le faire valoir, qu’il m’avoit fait presque convenir de tout. Il n’en étoit rien, et je le sus bien dire à l’un et à l’autre. Quelque étrange qu’un semblable allégué doive paroître à qui n’a pas connu le duc de Chevreuse, je suis convaincu qu’il se trompoit soi-même, et qu’à force de désirer, de se figurer, de se persuader, il croyoit tout ce qu’il souhaitoit et tout ce dont il se persuadoit de la chose, de lui-même et des autres. Toutefois je ne pus m’empêcher de lui en parler avec force, mais en même temps je soutins le chancelier dépité, et avec travail, qui vouloit laisser faire M. de Chevreuse, l’abandonner à ses sophismes et à tout ce qu’il en pourroit tirer sans autre secours pour son affaire.

Ce qui le gâtoit encore avec le chancelier, c’est que, se doutant bien, qu’il étoit question d’un règlement, puisqu’il en avoit parlé lui-même, il le tracassoit pour pénétrer ses sentiments, et encore pour avoir communication de l’ancien projet qu’il avoit vu dans le temps que le premier président d’Harlay le fit, qu’il jugeoit bien devoir servir de base à ce qu’on alloit faire, mais dont il ne lui restoit rien qu’en gros et imparfaitement dans la mémoire. Or le chancelier s’en trouvoit d’autant plus importuné qu’il ne voulut ni lui communiquer l’ancien projet, ni moins encore lui laisser rien entrevoir de ce qui entreroit, ni de ce qu’il pensoit devoir entrer dans ce qu’on vouloit faire.

Je n’étois pas moi-même moins circonvenu toutes les fois que je venois à Paris, et je n’avois pas peu à me défendre d’un ami si intime, si supérieur en âge et en situation, et si adroit à pomper, dans la pensée que le chancelier me communiquoit tout, et ne me cachoit rien. Il eut beau faire, jamais il ne put rien tirer de moi que des avis sur son fait, et des services très-empressés et très-constants auprès du chancelier, qui ne furent pas inutiles.

Le chancelier avoit travaillé avec le roi trois fois tête à tête. J’appris de lui, après ce troisième travail, que le roi