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Le chancelier cependant travailla avec le roi. Ce tête-à-tête non accoutumé réveilla tout le monde, qui, joignant à cette singularité la surséance arrivée à notre affaire de d’Antin, ne douta pas qu’il n’y en fût question. Le chancelier proposa au roi de communiquer le projet de règlement à quelques ducs, et de travailler là-dessus, avec eux, puisqu’il s’agissoit de faire une loi à eux si importante. Le roi, hérissé de la proposition, répondit avec un mépris assez juste sur leur capacité en affaires, et la difficulté d’en trouver quelques-uns qui entendissent celles-là assez bien. Le chancelier lui en nomma quelques-uns, moi entre autres, et en prit occasion de faire valoir son amitié sans la montrer trop. Il insista même assez ferme ; mais le roi demeura inébranlable en ses usages, ses préjugés, et ses ombrages mazarins d’autorité qui l’animoient contre les ducs, dont la dignité lui étoit odieuse par sa grandeur intrinsèque, indépendante par sa nature des accidents étrangers. Elle lui faisoit toujours peur et peine par les impressions que ce premier ministre italien lui en avoit données pour son intérêt particulier, et lui avoit sans cesse fait inspirer par la reine mère, ce qui le rendit si constamment contraire, jusqu’à franchir les injustices les plus senties, et même avouées en bien des occasions.

Le projet, tel que le chancelier et moi [en] étions convenus fut par lui communiqué au premier président et au procureur général. Pelletier, qui n’étoit pas grand clerc, ne fit que le voir à sa campagne où il étoit allé, et le renvoya aussitôt. D’Aguesseau écrivit un long verbiage qui, pour en dire le vrai, ne signifioit rien. Le chancelier, content de sa communication de bienséance, poussa sa pointe.

M. de Chevreuse, en éveil sur ce travail du roi avec le chancelier seul, redoubla d’un mémoire à celui-ci. Ce mémoire n’étoit point correct dans ses principes, peu droit dans ses raisonnements qui tous conduisoient à ses fins, comme le chancelier me le manda avec dégoût et même avec