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le jetoit nécessairement, jusqu’au point de me soutenir qu’un duc et pair dont le duché seroit situé dans la même coutume où Chaulnes est situé, et qui auroit deux fils, pourroit, de droit et sans aucune difficulté, ajuster les deux partages, en sorte que l’aîné ayant pour la quantité de biens tous les avantages de l’aînesse, le cadet seroit néanmoins duc et pair à son préjudice, en faisant tomber le duché-pairie dans son lot, sans que l’aîné eût démérité ni qu’il pût l’empêcher. Quelquefois des conséquences si grossières, dont il ne se pouvoit tirer, lui donnoient quelque sorte de honte ; mais sa manière de raisonner, subtile au dernier point, le réconfortoit à son propre égard, l’empêchoit de se laisser aller à la droite et vraie raison, et le laissoit en liberté de poursuivre avec candeur la plus déplorable de toutes les thèses. Je finis avec lui par lui dire qu’il étoit inutile de disputer davantage là-dessus ; que, s’il entreprenoit ce procès, il devoit compter de me trouver contre lui de toutes mes forces, sans pour cela l’aimer moins ; et que la plus grande preuve que je lui en pusse donner étoit mon souhait sincère qu’il réussît pour son second fils par des lettres nouvelles. Cette marque d’amitié étoit en effet grande pour moi ; et il en sentit le prix, parce qu’il connoissoit parfaitement mon éloignement extrême de notre multiplication, et l’extrême raison de cet éloignement.

Nous demeurâmes donc de la sorte muets sur Chaulnes, qu’il avoit bien plus à cœur que son ancienneté de Chevreuse qu’il ne regardoit qu’en éloignement, moi en garde avec lui sur Épernon, et lui refusant quelquefois nettement toute réponse à ses questions là-dessus, mais, du reste, aussi étroitement unis, et en confiance aussi entière, sur tout ce qui ne touchoit pas ces matières, que nous étions auparavant.

Quelque uns, car c’est trop peu de dire unis, que fussent en tout M. de Chevreuse et M. de Beauvilliers, ce dernier étoit bien éloigné d’approuver les chimères de son beau-