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froidement qu’il ne savoit pas ce qu’elle vouloit dire, qu’il ne l’avoit jamais vue que fort rarement et fort généralement, et que pour Monseigneur à peine en était-il connu. C’étoit un homme qui couroit en cachette, mais plus bassement et plus avidement que personne, à tout ce qui le pouvoit conduire, et qui n’aimoit pas à se charger de reconnoissance inutile. Néanmoins cela fut su, et ne lui fit pas honneur.

Monseigneur n’eut que deux hommes d’aversion dans toute la cour, et cette aversion ne lui étoit pas inspirée comme celle de Chamillart et de quelques autres : ces deux hommes étoient le maréchal de Villeroy et M. de Lauzun ; il étoit ravi dès qu’il y avoit quelque bon conte sur eux. Le maréchal étoit plus ménagé, mais pas assez pour que lui-même n’en fût pas souvent embarrassé. Pour l’autre, Monseigneur ne s’en pouvoit contraindre ; et M. de Lauzun, au contraire du maréchal, ne s’en embarrassoit point. Je n’ai point démêlé où il avoit pris son aversion. Il en avoit une fort marquée pour les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, mais c’étoit l’effet de la cabale aidée de l’entière disparité des mœurs.

À ce qui a été rapporté de l’incompréhensible crédulité de Monseigneur sur ce qui me regarde, et de la facilité avec laquelle Mme la duchesse de Bourgogne l’en fit revenir, jusqu’à lui en donner de la honte, on reconnoît aisément de quelle trempe étoit son esprit et son discernement ; aussi ceux qui l’avoient englobé, et qui avoient si beau jeu à l’infatuer de tout ce qu’ils vouloient, n’eurent-ils aucune peine à le tenir éloigné de Mgr le duc de Bourgogne, et de l’en éloigner de plus en plus, par le grand intérêt qui a été mis au net plus d’une fois. On peut juger aussi ce qu’eût été le règne d’un tel prince livré en de telles mains. La division entre les deux princes étoit remarquée de toute la cour. Les mœurs du fils, sa piété, son application à s’instruire, ses talents, son esprit, toutes choses si satisfaisantes pour un père, étoient autant de démérites, parce que c’étoient autant de