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influence aux affaires, il les savoit et c’étoit tout. Cette sécheresse, peut-être aussi son peu d’intelligence, l’en faisoit retirer tant qu’il pouvoit. Il étoit cependant assidu aux conseils d’État ; mais, quoiqu’il eût la même entrée en ceux de finance et de dépêches, il n’y alloit presque jamais. Quant au travail particulier du roi, il n’en fut pas question pour lui, et hors de grandes nouvelles, pas un ministre n’alloit jamais lui rendre compte de rien ; beaucoup moins les généraux d’armée, ni ceux qui revenoient d’être employés au dehors.

Ce peu d’onction et de considération, cette dépendance, jusqu’à la mort, de n’oser faire un pas hors de la cour sans le dire au roi, équivalent de permission, y mettoit Monseigneur en malaise. Il y remplissoit les devoirs de fils et de courtisan avec la régularité la plus exacte, mais toujours la même, sans y rien ajouter, et avec un air plus respectueux et plus mesuré qu’aucun sujet. Tout cela ensemble lui faisoit trouver Meudon et la liberté qu’il y goûtoit délicieuse ; et bien qu’il ne tînt qu’à lui de s’apercevoir souvent que le roi étoit peiné de ces fréquentes séparations et par la séparation même, et par celle de la cour, surtout les étés qu’elle n’étoit pas nombreuse à cause de la guerre, il n’en fit jamais semblant, et ne changea rien en ses voyages, ni pour leur nombre ni pour leur durée. Il étoit fort peu à Versailles, et rompoit souvent par des Meudons de plusieurs jours les Marlys quand ils s’allongeoient trop. De tout cela, on peut juger quelle pouvoit être la tendresse de cœur ; mais le respect, la vénération, l’admiration, l’imitation en tout ce qui étoit de sa portée étoit visible, et ne se démentit jamais, non plus que la crainte, la frayeur, et la conduite.

On a prétendu qu’il avoit une appréhension extrême de perdre le roi. Il n’est pas douteux qu’il n’ait montré ce sentiment ; mais d’en concilier la vérité avec celles qui viennent d’être rapportées, c’est ce qui ne paroît pas aisé. Toujours