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moins de peine qu’à acquérir le besoin d’être elle-même consolée, à quoi pourtant, sans rien montrer de faux, on voyoit bien qu’elle faisoit de son mieux pour s’acquitter d’un devoir pressant de bienséance sentie, mais qui se refuse au plus grand besoin. Le fréquent moucher répondoit aux cris du prince son beau-frère. Quelques larmes amenées du spectacle, et souvent entretenues avec soin, fournissoient à l’art du mouchoir pour rougir et grossir les yeux et barbouiller le visage, et cependant le coup d’œil fréquemment dérobé se promenoit sur l’assistance et sur la contenance de chacun.

Le duc de Beauvilliers, debout auprès d’eux, l’air tranquille et froid, comme à chose non avenue ou à spectacle ordinaire, donnoit ses ordres pour le soulagement des princes, pour que peu de gens entrassent, quoique les portes fussent ouvertes à chacun, en un mot pour tout ce qu’il étoit besoin, sans empressement, sans se méprendre en quoi que ce soit ni aux gens ni aux choses ; vous l’auriez cru au lever ou au petit couvert servant à l’ordinaire. Ce flegme dura sans la moindre altération, également éloigné d’être aise par la religion, et de cacher aussi le peu d’affliction qu’il ressentoit, pour conserver toujours la vérité.

Madame, rhabillée, en grand habit, arriva hurlante, ne sachant bonnement pourquoi ni l’un ni l’autre, les inonda tous de ses larmes en les embrassant, fit retentir le château d’un renouvellement de cris, et fournit un spectacle bizarre d’une princesse qui se remet en cérémonie, en pleine nuit, pour venir pleurer et crier parmi une foule de femmes en déshabillé de nuit, presque en mascarades.

Mme la duchesse d’Orléans s’étoit éloignée des princes, et s’étoit assise le dos à la galerie, vers la cheminée, avec quelques dames. Tout étant fort silencieux autour d’elle, ces dames peu à peu se retirèrent d’auprès d’elle, et lui firent grand plaisir. Il n’y resta que la duchesse Sforce, la duchesse de Villeroy, Mme de Castries, sa dame d’atours, et Mme de Saint-Simon. Ravies de leur liberté, elles s’approchèrent en