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qu’il y eût de mauvaises nouvelles de Meudon ; que Mgr le duc de Bourgogne venoit d’envoyer parler à l’oreille à M. le duc de Berry, à qui les yeux avoient rougi à l’instant ; qu’aussitôt il étoit sorti de table, et que, sur un second message fort prompt, la table où la compagnie étoit restée s’étoit levée avec précipitation, et que tout le monde étoit passé dans le cabinet. Un changement si subit rendit ma surprise extrême. Je courus chez Mme la duchesse de Berry aussitôt ; il n’y avoit plus personne ; ils étoient tous allés chez Mme la duchesse de Bourgogne ; j’y poussai tout de suite.

J’y trouvai tout Versailles rassemblé, ou y arrivant ; toutes les dames en déshabillé, la plupart prêtes à se mettre au lit, toutes les portes ouvertes, et tout en trouble. J’appris que Monseigneur avoit reçu l’extrême-onction, qu’il étoit sans connoissance et hors de toute espérance, et que le roi avoit mandé à Mme la duchesse de Bourgogne qu’il s’en alloit à Marly, et de le venir attendre dans l’avenue entre les deux écuries, pour le voir en passant.

Le spectacle attira toute l’attention que j’y pus donner parmi les divers mouvements de mon âme, et ce qui tout à la fois se présenta à mon esprit. Les deux princes et les deux princesses étoient dans le petit cabinet derrière la ruelle du lit. La toilette pour le coucher étoit à l’ordinaire dans la chambre de Mme la duchesse de Bourgogne, remplie de toute la cour en confusion. Elle alloit et venoit du cabinet dans la chambre, en attendant le moment d’aller au passage du roi ; et son maintien, toujours avec ses mêmes grâces, étoit un maintien de trouble et de compassion que celui de chacun sembloit prendre pour douleur. Elle disoit ou répondoit en passant devant les uns et les autres quelques mots rares. Tous les assistants étoient des personnages vraiment expressifs, il ne falloit qu’avoir des yeux, sans aucune connoissance de la cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages, ou le néant de ceux qui n’étoient de rien : ceux-