Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/95

Cette page n’a pas encore été corrigée

à ne me laisser point entamer, et à en demeurer où j’en étais. Les détails jusqu’où je fus poussé très-vivement et très-longuement sembleroient incroyables à qui a vu ce qu’étoit M. du Maine dans ces temps-là, et combien ce qui paraissoit de plus considérable s’empressoit inutilement auprès de lui. J’en étois là avec l’un et l’autre, sans les avoir jamais vu chez eux qu’en ces occasions rares de compliments où toute la cour y alloit par devoirs et par instants, lors d’une aventure qu’il est nécessaire de rapporter.

J’ai dit ailleurs que, la liste de Marly faite par le roi pour chaque voyage, il la montroit la veille après son souper dans son cabinet aux princesses, qui, par rang entre elles, choisissoient les dames qu’elles vouloient mener, et les envoyoient avertir à la sortie du cabinet, sur le minuit. Elles prenoient toujours les mêmes. Mme de Saint-Simon, par exemple, alloit toujours avec Mme la duchesse d’Orléans ; Mme de Lauzun avec Mme du Maine ; et au retour à Versailles, les mêmes revenoient avec elles. Il arriva deux ou trois fois que, les jours qu’on retournoit à Versailles, Mme la duchesse de Bourgogne voulut jouer dans le salon, retint Mme de Lauzun qui étoit assez dans le gros jeu, et la ramenoit à Versailles, parce que tout le monde étoit parti avant la fin de son jeu. Mme du Maine, gâtée par la complaisance sans bornes de M. du Maine, étoit devenue une manière de divinité fort capricieuse, qui se croyoit tellement tout dû qu’elle ne croyoit plus rien devoir à personne. Le fait étoit que sa violence étoit si extrême pour tout ce qu’elle vouloit, que, dans la frayeur continuelle que la tête ne lui tournât, M. du Maine s’étoit exécuté sur ses biens et sur toute bienséance. Il se voyoit ruiner en théâtres et en fêtes sans oser dire un seul mot, il en faisoit les honneurs en domestique principal de la maison ; et il applaudissoit en apparence à ce qui le faisoit rougir au dehors, et le désespéroit au dedans. Ainsi, Mme du Maine trouva mauvais qu’ayant amené Mme de Lauzun à Marly, elle s’en retournât avec une autre,