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un projet qu’il m’avoit confié dès sa naissance et que j’avois fort approuvé, et ceci commencera à caractériser ce prince par les faits. On a vu, en plus d’un endroit, combien Besons lui étoit attaché, et combien il en avoit tiré de protection et de services, même pour son bâton de maréchal de France. Le mérite et l’attachement de Besons l’avoit également fait désirer à M. et Mme la duchesse d’Orléans pour gouverneur de M. le duc de Chartres, avant qu’il fût maréchal de France, et cette élévation le leur augmentoit encore beaucoup. Besons, pauvre, sans naissance, âgé, marié tard et chargé de famille, d’ailleurs modeste et reconnoissant, n’étoit pas en terme de lui rien refuser ; il lui en parla, et Besons lui répondit avec toute la sagesse et plus d’esprit qu’on n’en pouvoit attendre, laissant une si juste balance qu’il conserva toute sa liberté. Aussitôt après, il consulta séparément le chancelier, dont il étoit parent proche et ami, et moi.

Le chancelier, toujours peu prévenu pour M. le duc d’Orléans, et payé pour l’être en faveur des officiers de la couronne, fut d’avis du refus. Moi, au contraire, j’inclinai à l’acceptation, quoique en garde contre mon penchant à l’intérêt de M. le duc d’Orléans, dans une affaire qui exigeoit de moi un conseil sincère à un homme qui se fiait en moi et qui me le demandoit. Je lui dis donc que cette place étoit en effet fort au-dessous du rang où son mérite l’avoit porté ; que néanmoins il devoit considérer que le marquis de Chevrières, homme de qualité distinguée (Mitte de Miollens), qui avoit souvent commandé des corps en chef, en qualité de lieutenant général, grade alors fort rare, qui avoit passé avec réputation par les premières ambassades, et chevalier du Saint-Esprit, ce qui distinguoit bien plus en ces temps-là, avoit été gouverneur du jeune prince de Condé, père du héros, choisi par Henri IV ; que si on objectoit qu’alors ce prince étoit l’héritier de la couronne, on répondoit aussi qu’Henri IV étoit si bien en état d’avoir des enfants qu’il en