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Nancré étoit fort lié avec Mme d’Argenton, et fort mal avec Mme la duchesse d’Orléans, qui avoit grand lieu d’en être plus que mécontente. C’étoit un drôle de beaucoup d’esprit ; de manége et de monde, aimable dans le commerce et dans la société, mais dangereux fripon, pour ne pas dire scélérat, dont il ne s’éloignoit guère, qui aimoit à se mêler de tout, dont l’intrigue étoit la vie, et qui, n’ayant ni âme ni sentiment, que simulés, vouloit cheminer et être compté, à quoi tous moyens lui étoient bons. La rupture, et M. le duc d’Orléans raccommodé au mieux avec Mme sa femme et se tournant au sérieux, l’embarrassoient fort. Il étoit des amis du duc de Noailles ; il lui parla de cette brouillerie, et lui promit ce qu’il ne put tenir.

M. le duc d’Orléans, qui ne comptoit pas sur la sûreté de Nancré, sut du maréchal de Besons que le duc de Noailles lui en avoit parlé, et en saisit l’occasion pour lui remettre cette espèce de négociation. Besons agit, et trouva Noailles dans des réserves de respect fort sèches. Mme la duchesse d’Orléans le vit chez elle avec une retenue qui ne put se réchauffer. Il étoit fort lié avec le maréchal de Boufflers et aussi avec Besons ; apparemment qu’il sut d’eux la part que j’avois eue à la rupture. Il crut ou sut aussi que je n’ignorois pas le louche qui s’étoit mis entre M. le duc d’Orléans et lui, tellement que, encore que je n’eusse avec lui aucune sorte d’habitude ni de liaison, quoique fort bien de tout temps avec sa mère, je remarquai qu’il me tournoit, et à la fin il me parla en homme plein qui veut s’épancher et montrer qu’il a raison. Je ne laissai pas d’en être surpris ; mais comme tout ce qui me revenoit de lui depuis longtemps me plaisoit, je m’approchai à mesure qu’il s’approchoit. Il me parla en général de son fait avec M. le duc d’Orléans, et me pria qu’il pût me le conter à loisir. Moi qui n’avois que faire de tout cela, sinon en gros, par le désir de les voir rapprocher, j’évitai doucement cette conversation demandée. Néanmoins, il se forma un peu plus de commerce entre eux,