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ma pensée au maréchal de Besons, qui l’avoit ardemment embrassée comme une ressource assurée, mais unique ; que nous avions résolu de la lui venir proposer ensemble, et pris rendez-vous chez moi à Paris pour convenir de tout, mais que la difficulté de l’entreprise nous ayant effrayés l’un et l’autre par les réflexions que nous avions faites dans l’entre-deux, nous étions demeurés d’accord que nous chercherions séparément à le faire parler, à profiter de son ouverture pour aller aussi avant que nous le jugerions convenable sur-le-champ, et que, si l’occasion se présentoit, elle seroit saisie, et que celui des deux à qui cela arriveroit, décèleroit le complot et son compagnon. Je me tus après ce court récit ; il n’augmenta pas l’agitation corporelle, mais les soupirs, et prolongea son silence. Je me retournai un peu pour lui laisser plus de liberté, et de temps en temps je disois en monosyllabes, comme m’encourageant moi-même : « Il n’y a que cela à faire, c’est l’unique porte, » et d’autres mots semblables. Enfin, après longtemps, M. le duc d’Orléans se leva, vint à moi, et avec une amertume qui ne se peut rendre : « Que me proposez-vous là ? me dit-il. — Votre grandeur, lui dis-je, et le seul moyen de vous remettre comme vous devez être, et mieux que vous n’avez jamais été. » Quelques moments après, j’ajoutai : « Oh ! que je voudrois que Besons fût ici ! » Il fut quelque temps sans répondre, puis me dit, mais d’un ton fort concentré en lui-même : « Mais il est ici. — Quoi, dis-je, à Versailles ? — Oui, me dit-il, il me semble que je l’ai vu ce matin chez le roi. — Eh bien ! monsieur, repartis-je, voulez-vous l’envoyer chercher ? » Il fut un moment sans répondre ; je le pressai, il y consentit. Aussitôt je sortis, et je dis à ses gens qu’il demandoit le maréchal de Besons.

Comme nous attendions la réponse on vint annoncer Mgr le duc de Bourgogne : c’est l’usage du premier jour de l’an que les fils de France rendent aux petit-fils de France, non à aucun prince du sang, la visite qu’ils en ont reçue le matin