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l’avoir évitée que pour la mieux délivrer. Il n’y eut protestations qu’elle ne me fit d’une amitié, d’un souvenir, d’une reconnoissance éternels, et termes obligeants et forts dont elle ne se servît pour me demander personnellement mon amitié. Ensuite elle me dit, un peu en continuant de rougir, car cela lui étoit arrivé plus d’une fois et avec grâce dans le cours de ses remercîments, que je serois peut-être surpris qu’elle, qui avec raison n’avoit pas la réputation d’être confiante, me parlât avec une entière ouverture dès la première entrevue, mais que mon intimité avec M. le duc d’Orléans, et ce que je venois de faire, le permettoit et l’exigeoit même ainsi. Après cette petite préface, elle entra en effet avec moi en des raisonnements les plus pleins de confiance sur la conduite que M. le duc d’Orléans avoit à tenir pour se tirer de l’état auquel il s’étoit mis.

Je fus extrêmement surpris de sentir tant d’esprit, de sens et de justesse, dont je conclus en moi-même encore plus fortement de n’épargner aucun soin pour unir le mari et la femme le plus étroitement que je le pourrois, fermement persuadé, outre la foule des autres raisons, qu’il ne trouveroit nulle part un meilleur conseil qu’en elle. Nous concertâmes donc, dès cette première fois, diverses choses, bien résolus de marcher ensemble pour remettre M. le duc d’Orléans au monde, en quoi néanmoins nous trouvâmes plus de difficulté que nous n’avions pensé ; mais au moins je parvins assez aisément à l’unir et à le faire vivre avec elle aussi agréablement et même aussi intimement qu’il étoit en lui, à la grande surprise de la cour, et au grand dépit de Mme la Duchesse et de ses autres ennemis, qui ne purent même le dissimuler. Devenu ainsi l’auteur de cette union, j’en devins aussi l’instrument continuel, dans laquelle je fus en tiers dans une confiance et une intimité égale avec chacun des deux. Leurs ennemis commencèrent à en craindre les effets, et les miens à publier que je gouvernois cette barque.

Une des choses à laquelle je crus devoir le plus travailler,