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confiant que c’étoit moi seul qui avois fait chasser Mme d’Argenton. Il me surprit étrangement lorsqu’il me conta l’aveu que lui en avoit fait M. le duc d’Orléans, et bien davantage qu’il l’avoit dit à Mme de Maintenon. À son tour il ne le fut pas moins de ma froideur à ce récit, et m’en demanda la cause. Je la lui dis ; mais comme il avoit plus de droiture que d’esprit et de vraie connoissance de cour, où il n’étoit venu qu’âgé et déjà dans les grands emplois de guerre, il ne goûta point mes raisons et se récria sur l’injustice qu’il y avoit de prendre thèse sur ce que j’avois fait faire de bon à M. le duc d’Orléans, pour m’imputer de n’empêcher pas ce qu’à l’avenir il pourroit faire de mal. Ce qu’il avoit dit étoit lâché et lâché par principe d’amitié ; ainsi voyant la chose sans remède, je ne voulus pas contester vainement, et je le remerciai du mieux que je pus. Le roi ni Mme de Maintenon, laquelle je ne voyois jamais, ne m’en ont jamais parlé ni rien fait dire ; mais par un trait du roi, qui se trouvera dans la suite, je ne puis presque douter qu’il ne l’ait su.

La rupture ainsi achevée et terminée, je songeai à en faire tirer à M. le duc d’Orléans tous les plus avantageux partis qu’il me fût possible, et je n’en crus aucun meilleur, à tous égards, que celui de le lier étroitement à Mme sa femme dans une si favorable jointure. Il avoit été infiniment content de la manière dont elle avoit pris la rupture. Elle contint sa joie avec une modération et une sagesse qui ne se démentit point, et qui eut une grande force pour ramener M. le duc d’Orléans vers elle. Comme il me l’avoua dès les premiers jours, et que je sentis ses froncements mollis, je me hâtai de me servir de ces ouvertures récentes, et de sa désoccupation ennuyeuse et pénible dans ce subit changement de vie, pour l’attacher à Mme la duchesse d’Orléans. Jugeant ensuite que je pourrois ne leur être pas inutile, je lui dis que jusqu’à présent j’avois fait une sorte de profession publique de ne la jamais voir non plus que les autres princesses,