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à l’abbé de Thesut, puis je la fis. Ils la trouvèrent bien tous deux, l’abbé la lui dicta, il l’écrivit, et mit le dessus de sa main, et l’envoya par Imbert, son premier valet de chambre, comme le roi étoit déjà chez Mme de Maintenon, qui étoit ce que je voulois pour qu’il la vît. Imbert la donna à l’officier des gardes qui demeuroit là de garde. Celui-ci la porta à Mme de Maintenon ; mais le roi ayant demandé et su de qui étoit la lettre, la prit, et c’étoit ce que nous désirions. J’essuyai tout le soir des regrets cuisants demeuré tête à tête, et pour la première fois de ma vie je vis des lettres de Mme d’Argenton. M. le duc d’Orléans lui écrivit, et j’eus peine à obtenir qu’il s’en abstiendroit tout à fait à l’avenir. Après le souper, le roi dit à M. le duc d’Orléans qu’il avoit vu sa lettre, que Gomerfontaine ne se pouvoit, parce que Mme de Maintenon ne le désiroit pas, par les raisons que nous savions, qu’il lui répéta ; mais qu’à l’exception de ce lieu, il n’y en avoit aucun où sa maîtresse n’eût liberté d’aller et de demeurer, tant et si peu qu’il lui plairoit. Tout cela fut accompagné d’amitiés, et d’un air fort différent de celui que le temps mal pris et la surprise avoient causé lors de la déclaration de la rupture.

Mme d’Argenton ne demeura que quatre jours à Paris, depuis que Chausseraye la lui étoit allée dire. Elle s’en alla chez son père qui vivoit chez lui près de Pont-Sainte-Maxence, et le chevalier d’Orléans, son fils, demeura au Palais-Royal. Cette retraite excita toutes les langues. Les amies de Mme d’Argenton s’en irritèrent comme d’un outrage, n’osant crier contre la rupture même. La duchesse de Ventadour, naturellement douce, et d’ailleurs retenue par la cour, se contenta de pleurer. La duchesse douairière d’Aumont, sa sœur, ne se contraignit pas tant. Dévote outrée, joueuse démesurée par accès, et souvent tous les deux ensemble, et toujours méchante, elle étoit la meilleure amie de Mme d’Argenton, et força la duchesse d’Humières, sa belle-