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l’autre bout de l’entre-sol avec l’abbé, puis m’appela, ce qui fit sortir les autres. Demeurés seuls tous trois, M. le duc d’Orléans me demanda avec angoisse si j’avois jamais vu une dureté pareille, m’expliqua la demande de Gomerfontaine et sa cause, et à peine m’en eût-il dit le refus, qu’il entra en une espèce de rage et de fureur, et s’abandonna au repentir de ne s’en être pas fui de Besons et de moi dans le sein de sa maîtresse la nuit qui précéda la rupture, comme il en avoit été mille fois tenté. Après avoir laissé quelque cours à cette tempête, je lui représentai qu’avant de s’abandonner ainsi au déchaînement, il falloit voir un peu mieux de quoi il s’agissoit ; que, si la chose étoit crue ainsi qu’on la lui disoit, je ne pouvois disconvenir qu’il n’eût lieu d’être en colère, et que j’y étois autant que lui, mais que je le suppliois que nous puissions raisonner un moment. Je demandai à l’abbé de Thesut ce qu’on prétendoit que Mme d’Argenton devînt, et pourquoi on ne vouloit pas la laisser se retirer en un lieu si naturel, et où elle pourroit trouver de la consolation, de l’instruction et des exemples. Il me répondit que Mme de Maintenon aimoit l’abbesse et la maison de Gomerfontaine, où elle avoit envoyé des demoiselles de Saint-Cyr, qu’elle avoit des desseins dessus, et qu’elle ne vouloit pas que Mme d’Argenton la gâtât. Je dis à M. le duc d’Orléans, qui cependant tempêtoit de toutes ses forces, qu’il auroit regret de s’être tant tourmenté pour si peu de chose, que je ne voyois que deux choses qui pussent lui faire de la peine et intéresser Mme d’Argenton : un ordre par écrit qu’il étoit sûr qu’elle n’auroit pas, une contrainte sur sa liberté que je ne voyois pas ici ; et que, s’il vouloit m’en croire, je parierois toutes choses qu’il auroit contentement.

J’eus peine à lui faire entendre raison. À la fin il consentit à la proposition que je lui fis d’écrire à Mme de Maintenon. Après avoir écrit les deux premiers mots, il se renversa dans sa chaise, me dit qu’il ne pouvoit penser, encore moins écrire, et qu’il me prioit de faire la lettre. J’en fis le compliment