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duc d’Orléans avec qui je passai encore toute cette après-dînée.

Chausseraye étoit allée la veille tout droit chez la duchesse de Ventadour à Versailles, chez Mme d’Argenton à Paris, où elle ne la trouva point, et sut qu’elle étoit allée jouer et souper chez la princesse de Rohan, d’où elle ne reviendroit que fort tard, sur quoi elle lui manda qu’elle avoit à lui parler et qu’elle l’attendoit chez elle. Mme d’Argenton ne se pressant point de revenir, Mlle de Chausseraye renvoya et la fit arriver. Elle lui dit que ce qu’elle avoit à lui apprendre étoit si sérieux qu’elle eût bien voulu qu’une autre en fût chargée ; et avec ces détours comme pour annoncer la mort de quelqu’un, elle fut longtemps sans être entendue. Enfin elle la fut. Les larmes, les cris, les hurlements firent retentir la maison, et annoncèrent au nombreux domestique la fin de sa félicité, lequel ne fut pas plus ferme que la maîtresse. Après un long silence de Chausseraye, elle se mit à parler de son mieux, à faire valoir les largesses, la délicatesse sur tout ordre par écrit, la liberté dans tout le royaume excepté Paris et les apanages. Mme d’Argenton au désespoir, mais peu à peu devenue plus traitable, demanda à se retirer pour les premiers temps dans l’abbaye de Gomerfontaine en Picardie, où elle avoit été élevée et y avoit une sœur religieuse. L’Abbé de Thesut, secrétaire des commandements de M. le duc d’Orléans, ami intime de toute cette séquelle et dont j’aurai occasion de parler dans la suite, fut mandé, puis envoyé à Versailles, chargé d’une lettre de Mme d’Argenton pour M. le duc d’Orléans, et d’une autre pour la duchesse de Ventadour, priée de voir Mme de Maintenon sur cette retraite.

Tandis que j’étois chez M. le duc d’Orléans, avec deux ou trois de ses premiers officiers, à causer pour l’amuser comme nous pouvions, l’abbé de Thesut entra, qui lui vint dire un mot à l’oreille. À l’instant je vis une grande altération sur son visage. Il rêva un moment, se leva, alla à