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pour ne point donner prise sur vous. » Je répondis que c’étoit aussi ce que j’avois continuellement fait depuis quatre ans, comme je venois d’avoir l’honneur de le lui dire, et ce que je ferois continuellement à l’avenir, mais qu’au moins le suppliois-je de voir combien peu de part j’avois eu en ces dernières choses, desquelles néanmoins je ne me trouvois pas quitte à meilleur marché ; que j’avois une telle crainte de me trouver en tracasseries et en discussions, surtout devant lui, qu’il falloit donc que je lui disse maintenant la véritable raison qui m’avoit fait rompre le voyage de Guyenne qu’il m’avoit permis de faire ; que cette raison étoit celle des usurpations, étranges du maréchal de Montrevel sur mon gouvernement, qui étoient telles que je n’y pouvois aller qu’elles ne fussent décidées ; que M. le maréchal de Boufflers, qui avoit commandé en chef en Guyenne, à qui j’avois exposé mes raisons, avoit jugé en ma faveur, et cru que M. de Montrevel l’en voudroit bien croire ; mais que ce dernier s’étant opiniâtré à vouloir que Sa Majesté décidât, j’avois mieux aimé perdre mes affaires qui avoient grand besoin de ma présence, et laisser encore le maréchal de Montrevel usurper tout ce que bon lui sembloit et sembleroit, que d’en importuner Sa Majesté, tant j’étois éloigné de toutes querelles, et surtout de l’en fatiguer.

Le roi goûta tellement ce propos qu’il l’interrompit plusieurs fois par des monosyllabes de louanges pour ne pas troubler le fil de mon discours, à la fin duquel il me loua davantage et m’applaudit plus à son aise, sans pourtant entrer en rien sur ces différends de Guyenne, tant il abhorroit toute discussion, et aimoit mieux que tout s’usurpât et se confondit, souvent même au préjudice connu de ses affaires, que d’ouïr parler de cette matière, et surtout de décision. Je lui parlai aussi de la longue absence que j’avois faite de douleur de me croire mal avec lui, d’où je pris occasion de me répandre moins en respects, qu’en choses