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valet de chambre en quartier, sortit du cabinet, chercha des yeux et me dit que le roi me demandoit.

J’entrai aussitôt dans le cabinet. J’y trouvai le roi seul et assis sur le bas bout de la table du conseil, qui étoit sa façon de faire, quand il vouloit parler à quelqu’un à son aise et à loisir. Je le remerciai en l’abordant de la grâce qu’il vouloit bien me faire, et je prolongeai un peu mon compliment pour observer mieux son air et son attention, qui me parurent l’un sévère, l’autre entière. De là, sans qu’il me répondît un mot, j’entrai en matière. Je lui dis que je n’avois pu vivre davantage dans sa disgrâce (terme que j’évitois toujours par quelque circonlocution pour ne le pas effaroucher, mais dont je me servirai ici pour abréger) sans me hasarder de chercher à apprendre par où j’y étois tombé ; qu’il me demanderoit peut-être par quoi j’avois jugé du changement de ses bontés pour moi ; que je répondrois que, ayant été quatre ans durant de tous les voyages de Marly, la privation m’en avoit paru une marque qui m’avoit été très-sensible, et par la disgrâce, et par la privation de ces temps longs de l’honneur de lui faire ma cour. Le roi, qui jusque-là n’avoit rien dit, me répondit, d’un air haut et rengorgé, que cela ne faisoit rien et ne marquoit rien de sa part. Quand je n’eusse pas su à quoi m’en tenir sur cette privation, l’air et le ton de la réponse m’eût bien appris qu’elle n’étoit pas sincère ; mais il la fallut prendre pour ce qu’il me la donnoit : ainsi je lui dis que ce qu’il me faisoit l’honneur de me dire me causoit un grand soulagement, mais que, puisqu’il m’accordoit l’honneur de m’écouter, je le suppliois de trouver bon que je me déchargeasse le cœur en sa présence, ce fut mon terme, et que je lui disse diverses choses qui me peinoient infiniment, et dont je savois qu’on m’avoit rendu auprès de lui de fort mauvais offices, depuis que des bruits, que mon âge et mon insuffisance m’empêchoient de croire fondés, mais qui avoient fort couru, qu’il avoit jeté les yeux sur moi pour l’ambassade de