Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/61

Cette page n’a pas encore été corrigée

de la parenté, en prit pitié, et parvint à leur faire voir cette étrange cousine. Sa figure et son esprit les gagna bientôt ; jamais créature si adroite, si insinuante, si flatteuse sans fadeur, si fine ni si fausse, et qui en moins de temps reconnût ses gens et par où il les falloit prendre. N’en sachant que faire, et pour la recrépir et lui donner du pain, le maréchal de Villeroy qui, comme on l’a vu ici plus d’une fois, pouvoit tout et à bonne cause sur la duchesse de Ventadour, la fit par elle entrer fille d’honneur de Madame qu’on éblouit du cousinage. Là, sous la protection de Mme de Ventadour, elle la gagna si bien qu’elle fut toute sa vie son amie la plus intime, et comme leurs mœurs étoient plus semblables que leurs esprits, elle fut son conseil en quantité de choses, dont elle ne lui en cacha toute sa vie aucune.

La galanterie, et après l’intrigue et l’intimité de Mme de Ventadour, lui acquirent des amis et de la considération, jusque-là que l’on comptoit avec elle dans le monde. Elle fit toujours tout ce qu’elle voulut des ministres. Barbezieux, le chancelier de Pontchartrain, dès le temps qu’il avoit les finances, Chamillart ne lui refusoient rien. Elle sut apprivoiser jusqu’à Desmarets et Voysin, et s’enrichit par eux. Mais ce fut tout autre chose pendant la régence, qu’elle eut plusieurs millions. Elle étoit amie intime de Mme d’Argenton, qu’elle avoit fort connue chez Mme de Ventadour, et amie de toute cette séquelle, dont elle tiroit du plaisir, et de l’argent de M. le duc d’Orléans. Elle avoit quitté Madame il y avoit longtemps comme surannée, mais elle étoit demeurée si bien avec elle qu’elle la voyoit toujours en particulier à Versailles, et que Madame l’alloit voir aussi quelquefois. Comme Mme de Ventadour elle étoit devenue dévote, mais elle n’en intriguoit pas moins. Il est incroyable de combien de choses elle se mêloit. Elle joua toute sa vie tant qu’elle put, et y perdit littéralement des millions. Le roi la traitoit bien, et lui a plus d’une fois donné des sommes considérables. Elle avoit tout crédit sur Bloin et sur