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qu’au premier jour de la fin publique de cette affaire ; qu’il n’avoit pas besoin de réflexions pour s’en apercevoir, et que cette triste vérité ne pouvoit être contestée.

À ce propos, il rentra fort en lui-même, et me l’avoua. Il convint de son embarras avec eux, et de leur peine avec lui qui redoubloit la sienne, et qui le retiroit de plus en plus d’auprès d’eux. J’en pris occasion de tirer de lui le même aveu sur l’abandon si entier de tout le monde, qui après l’autre ne fut pas difficile. Il s’en plaignit à moi avec assez d’amertume, et, sur ce qu’il y mêla quelque aigreur, je lui représentai qu’en un temps aussi despotique que ce règne, toute la cour, et par elle, tout le monde régloit ses démarches sur les mouvements qu’on ne cessoit de chercher dans le roi, premier mobile de toutes choses ; que souvent c’étoit bassesse, ordinairement flatterie, mais qu’ici c’étoit juste terreur, puisque chacun n’étoit que trop informé de la cause des manières du roi à son égard, si différentes maintenant de ce qu’elles avoient toujours été, et que quelque dure, quelque étrange, quelque inouïe que fût la solitude qu’il éprouvoit, il ne pouvoit avec raison le trouver mauvais de personne, ni en espérer la fin que par le changement du roi à son égard, qui entraîneroit au moins pour l’extérieur celui de Monseigneur, et celui de tout le monde. Cette vive repartie jeta ce prince dans une consternation qui m’émut et qui m’encouragea. J’étois entré chez lui en résolution de le mettre en voie de s’ouvrir avec moi pour le sonder et lui jeter de loin des propos qu’il pût entendre, mais non dans le dessein de rompre la glace. En ce moment, je me dépouillai de toute crainte et de toute considération précédente, et je me déterminai à saisir l’occasion si elle se présentoit à moi de bonne grâce, comme je prévoyois qu’il pouvoit arriver et comme en effet elle se présenta peu de moments après.

M. le duc d’Orléans, pénétré de la peinture que je venois de lui faire de sa situation, et qu’il ne pouvoit alors se dissimuler