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de s’épanouir avec elle à leur aise. C’étoit, comme je l’ai dit, un vendredi, 3 janvier, et le quatrième [jour] que je me présentois devant le roi dans l’attente de l’audience qu’il avoit promis à Maréchal de me donner, et je commençois à être en peine de ce qu’elle ne venoit point. Je trouvai le dîner avancé, je me mis le dos au balustre, et vers la fin du fruit, je m’avançai à un coin du fauteuil du roi, et lui dis que je le suppliois de se vouloir bien souvenir qu’il m’avoit fait espérer la grâce de m’entendre. Le roi se tourna à moi et d’un air honnête me répondit : « Quand vous voudrez. Je le pourrois bien à cette heure, mais j’ai des affaires, et cela seroit trop court, » et un moment après, il se retourna encore, et me dit : « Mais demain matin si vous voulez. » Je répondis que j’étois fait pour attendre ses moments et ses grâces, et que j’aurois l’honneur de me présenter le lendemain matin devant lui. Cette façon de me répondre me sembla de bon augure, un air affable et point importuné, et envie de m’écouter à loisir. Maréchal, le chancelier et Mme de Saint-Simon en furent persuadés comme moi.

Sortant du dîner du roi, et passant auprès de l’appartement de Mme la duchesse d’Orléans, je fus surpris de rencontrer le maréchal de Besons qui sortoit de chez elle, et que je croyois déjà à Paris ou bien près d’y arriver. Il étoit en usage de la voir quelquefois. Il me dit qu’inquiète de tout ce qu’il lui étoit revenu par le domestique, elle l’avoit envoyé chercher. À elle il avoua tout le fait, et redoubla la joie que quelques bruits avoient fait naître, et que Madame avoit confirmés, qui en revenant de la messe avoit passé chez elle, et lui avoit appris la rupture. Le maréchal me dit qu’il lui avoit grossièrement raconté les faits principaux, et me la représenta transportée de la plus vive joie, et de reconnoissance pour moi dont elle l’avoit prié de m’assurer. Besons étoit si peiné de l’éclat qui alloit suivre, et si pressé de s’aller mettre à couvert chez lui, qu’il n’osa demeurer que peu de moments avec moi, de peur qu’on ne nous vît ensemble,